<104>ne pensent qu'aux plaisirs, des ignorants qui ne connaissent rien et décident de tout, des envieux qui calomnient et déchirent leur prochain. Ce sont toutes ces têtes qu'il faut captiver et réunir, c'est cette multitude si diversifiée de pensées, d'inclinations et d'opinions, qu'il faut persuader de ses talents et de son mérite. Qu'il est difficile de gagner tant de suffrages! Qu'il faut de temps, de soins, de travaux et de succès pour élever l'édifice de sa réputation et forcer à la louange tant de bouches qui y répugnent! Ces mains avares épargnent chaque grain d'encens que d'autres exigent, pour le brûler sur leurs propres autels; d'autant plus faut-il estimer un pauvre artisan, dénué de protection et de crédit, qui, partant de si loin, franchit cette prodigieuse distance, se fait connaître, et réunit sur lui l'approbation du public. Encore est-il plus facile de se faire un nom de loin, d'en imposer à ceux qui ne nous voient ni ne nous connaissent; mais d'être prophète dans sa patrie et d'être approuvé par ses concitoyens, c'est le plus grand triomphe auquel la réputation humaine puisse prétendre.a Son nom s'est répandu dans tout le pays; il est devenu si célèbre, que des personnes qui ne l'avaient jamais vu lui envoyaient leur mesure, et le conjuraient de travailler pour elles; il fut si fort goûté, que ceux qui se piquent de galanterie et qui veulent se faire remarquer par l'élégance de leur parure ne croyaient point être chaussés, s'ils ne l'étaient par lui. Il était modeste, quoique recherché, ne refusant jamais ses services à ceux qui les exigeaient, souvent surchargé d'ouvrage, s'appliquant à contenter un chacun, pensant moins à l'intérêt qu'à la satisfaction d'être utile et de perfectionner son métier. On le trouvait sans cesse à son atelier, doux, affable, supportant les importunités, ne marquant pas même la moindre impatience ni la plus légère inquiétude quand de nouveaux fâcheux arrivaient à la file pour l'interrompre et pour presser son ouvrage, en cela bien différent de certains seigneurs qui brusquent tous ceux qui les abordent, qui commencent par refuser avant que de donner aux gens le temps d'expliquer ce qu'ils demandent, et qui ne savent bien de leur langue que le mot de non, distinctement articulé, parce qu'ils le prononcent sans cesse.
a Saint Matthieu, chap. XIII, v. 57.