<105>L'atelier du sieur Reinhart était une école de mœurs; il y tenait un ordre admirable; jamais ses élèves n'osaient jurer ou prononcer des paroles indécentes. Il leur disait souvent : Si vous vous appliquez à votre ouvrage, vous n'aurez pas d'autres idées. Aussi leur enseignait-il de bonne foi ce qu'il avait perfectionné avec tant de peine, de temps et de travail; il se piquait d'être utile après sa mort et de revivre en ceux qu'il avait formés. De son atelier sont sortis une foule d'habiles ouvriers, aujourd'hui établis dans tout ce pays; bien loin d'en être jaloux, il les encourageait, et s'applaudissait d'avoir si bien réussi. Cette vertu si simple dans un siècle corrompu est bien rare; d'autres artistes sont envieux de leurs découvertes ou de leurs secrets : un médecin qui croit avoir trouvé un remède nouveau le dérobe à la connaissance du monde, il en est envieux, et veut qu'il soit enseveli avec lui; bien des grands capitaines craignent de former des généraux qui, un jour, pourraient devenir leurs rivaux de gloire; il est ordinaire que des ministres cachent le secret des affaires à tous leurs commis, et qu'ils en demeurent les seuls dépositaires, par l'appréhension qu'ils ont d'élever des émules en le communiquant à ceux en qui ils placeraient leur confiance; aussi à leur mort tout est-il en désordre et en confusion, et il arrive quelquefois que le secret se perd pour jamais. Mais Matthieu Reinhart, qui était citoyen, pensait au bien de sa patrie, et ceux qui en ont agi autrement ne pensaient qu'à eux-mêmes. Que n'ai-je, messieurs, l'éloquence de Cicéron pour relever la gloire de cet homme incomparable, qui avait cette vertu tant prisée des anciens Romains! La Providence ne l'avait point placé dans un poste assez élevé pour mettre sa grande âme dans tout son jour; mais si tout membre de la société se conduisait sur ces principes, vous m'avouerez que le bien public en résulterait généralement. Que n'en aurait pas dit ce consul romain, père de l'éloquence et de la patrie, lui qui rendait fertiles les sujets les plus arides, qui fit absoudre des coupables, qui changeait des hommes ordinaires en grands hommes, qui supposait des vertus en ceux qui en manquaient! Il en aurait trouvé de véritables dans Matthieu Reinhart. Lorsque le consul voulut faire déférer le commandement de la guerre contre Mithridate à Pompée, il éblouit le peuple par les