XIX. LETTRE D'UN SUISSE A UN GÉNOIS.
Monsieur,
Il faut que l'imagination forte de vos compatriotes surpasse beaucoup l'instinct des pauvres Suisses reclus dans des montagnes couvertes d'une neige éternelle, qui, en glaçant les esprits, ne leur laissent que la faculté de réfléchir. Votre lettre a pensé me communiquer l'ardeur de vos sentiments; il s'en est fallu peu que les deux Impératrices et tous ces rois leurs alliés ne m'aient rempli d'étonnement et d'admiration. Cependant cette alliance, qui ne me paraît que terrible, formidable et funeste, vous inspire l'enthousiasme; vous parlez avec ravissement de celui dont l'art a pu réunir tant de vues contraires et fixer sur un même objet les projets de tant d'ambitieux. J'aimerais autant, je vous l'avoue, admirer la peste cruelle qui désola Marseille,a le tremblement de terre qui mina Quito et Méquinez, ou celui qui bouleversa Lisbonne, les éruptions des volcans, les foudres, les inondations et tous les fléaux qui affligent l'humanité. Ces causes funestes de nos désastres portent toutes un caractère de grandeur qui en impose; leurs effets terribles se présentent à l'imagination, et ces scènes tragiques intéressent, en nous touchant. Tel est le caractère de l'esprit humain, qu'il saisit avec empressement tout ce qui lui donne des idées vastes, grandes ou merveilleuses. De là vient
a En 1720.