<146>des souverains. Les triumvirs, après avoir vaincu Brutus, ayant anéanti la liberté et la république, ne trouvant plus d'intérêts dont le lien pouvait les unir, tournèrent leurs armes contre eux-mêmes; Lépide devint leur première victime, et le plus fourbe des trois, qui se trouva être Auguste, ayant écrasé ses collègues, finit par réunir en lui seul le pouvoir et la monarchie. Ce qui a été une révolution rapide chez les Romains se fera de nos jours avec plus de lenteur; l'ambition ne change pas d'allure. Si nos triumvirsa modernes sont heureux, ils auront les mêmes projets et le même sort que ceux de l'antiquité. Ma logique est fondée sur l'analogie et sur l'expérience; je souhaite pour le bien de l'humanité que mes conjectures se trouvent fausses; je ne suis pas prophète, ni ne veux l'être.
Vous connaîtrez par ces réflexions que cet or qui vous avait ébloui est mêlé de beaucoup d'alliage; vous pouvez à présent l'épurer à votre creuset. Je supprime une foule de réflexions dont cette matière est susceptible; je m'en rapporte bien à vous, monsieur; vous les ferez sans que j'aie besoin de vous les suggérer. Pardonnez toutes celles dont je vous accable; ce sont des fruits de mon pays. Ils conservent peut-être le goût du terroir; ils ne valent certainement pas les agréments dont votre imagination brillante embellit tous les objets auxquels elle touche. Croyez au moins que je suis capable de sentir ces beautés et de les admirer; c'est de quoi je vous prie d'être persuadé, ainsi que de l'estime, etc.
a Frédéric désigne souvent ses ennemis politiques par le nom de triumvirs et de triumvirat. Voyez t. XII, p. 100, 103, 137 et 161; voyez aussi les lettres du Roi à Voltaire, du 16 janvier 1758 et du 18 mai 1759, et sa lettre au marquis d'Argens, du 19 février 1760.