<156>gens ont un front qui ne rougit jamais;a ils se croient inspirés et infaillibles. - Il faut bien qu'ils soient inspirés, lui dis-je, sans quoi pareille sottise et une conduite aussi odieuse serait insoutenable. Ah! que nos lettrés sont saints, et que leurs mœurs sont divines! C'est la pure vertu, jamais ils ne s'en écartent; aussi ne sont-ils inspirés que par cette vertu pure qui naît dans le sein immortel et bienheureux du Tien. - Ne perdons pas le temps à raisonner, me dit le Portugais; il se fera aujourd'hui une cérémonie dans le grand temple, qui mérite d'attirer votre attention. - Une cérémonie? dis-je; et pourquoi? - Le grand lama, me dit le Portugais, y figurera. Venez, et rendons-nous au temple pour en être spectateurs.

Nous partîmes aussitôt, et nous trouvâmes un concours prodigieux de peuple qui s'était assemblé devant ce superbe édifice. Nous eûmes de la peine à percer la foule; cependant, comme mon Portugais était envoyé d'un grand roi, on lui fit place, et je me glissai à sa faveur vers un endroit de l'église d'où l'on pouvait voir de près la cérémonie; et je ne quittai point mon Portugais, pour avoir quelqu'un qui m'expliquât ce qui s'y passerait. Des bonzes en grand nombre commencèrent par faire des Dieux, selon leur coutume; ensuite parut le grand lama, escorté de ses écrevisses et d'un grand nombre de bonzes qui portaient de grands bonnets fendus sur la tête. Le lama est un vieillard qui a les soixante ans passés, mais qui ne paraît pas avoir envie d'incommoder le Saint-Esprit de sitôt pour inspirer le choix de son successeur. Il s'assit majestueusement sous un dais somptueux qu'on lui avait préparé; sur quoi un de ces bonzes à bonnet fendu lui présenta une épée et un bonnet. Qu'est-ce que ceci? dis-je à mon Portugais. - C'est, me dit-il, une épée et un bonnet qu'il doit bénir. - Et pourquoi les bénir? - Parce qu'ils doivent servir à un grand général qui fait la guerre contre un de ces princes qui sont dans le schisme, et qui ne sont point soumis au lama. - Mais, dis-je, on m'a dit qu'il était le père de tous les chrétiens,


a

..........de ces femmes hardies
Qui, goûtant dans le crime une tranquille paix,
Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.

Racine,

Phèdre

, acte III, scène III.