<158>et lui demanda qui j'étais; et en apprenant que j'étais Chinois, il me considéra avec attention, en répétant souvent : Il est vrai qu'il a l'air bien chinois.a Et comme il s'aperçut que je savais quelque peu d'italien que j'avais appris des jésuites géomètres de Ta Sublimité, il m'accosta, et me demanda si j'étais baptisé. Je lui dis que je n'avais pas cet honneur. Il me demanda encore si je n'en avais peut-être pas d'envie. Moins que jamais, repartis-je, après ce que j'ai vu et ce que j'ai entendu. - Ah! que je vous plains, mon beau monsieur! C'est bien dommage, mais vous serez damné; la grâce vous a conduit dans des lieux où elle pouvait se répandre sur vous, vous y résistez, votre erreur est volontaire, vous serez damné, monsieur, vous serez damné. Je pris la liberté de lui demander s'il croyait que Confutzé aurait un même sort. Peut-on en douter? reprit mon bonze. - Ah! lui répondis-je, j'aime mieux être damné avec lui que sauvé avec vous. Et nous nous quittâmes.
Tu vois, sublime empereur, combien tout diffère de l'Europe à l'Asie; leur religion, leur police, leurs coutumes, leur politique, tout me surprend; beaucoup de choses me paraissent inconcevables. Je ne saurais encore juger si c'est que mes vues sont trop bornées, ou qu'en effet il y entre beaucoup d'extravagances dans ces usages, qui, parce qu'ils y sont accoutumés, ne leur paraissent plus ridicules. La principale différence qu'il y a entre les esprits des Européens et les nôtres consiste en ce qu'ils se livrent souvent sans réserve à leur imagination, qu'ils prennent pour leur raison, et que ceux qui ont le bonheur d'être nés tes esclaves sont inviolablement attachés aux principes du bon sens et de la sagesse.
LETTRE SIXIÈME.
Le bonze qui m'avait voulu baptiser, et qui m'avait damné la veille, vint me voir. Il avait fait ses réflexions, et je remarquai qu'il avait imaginé quelque nouveau moyen qui ne lui faisait pas renoncer à ma conversion. Il m'engagea à faire connaissance avec
a Voyez t. XIII, p. 44.