<168>innées, et à la lecture d'un ouvrage aussi infernal, le diable parut sur-le-champ, et dit au Roi : « J'accepte ton présent; va, attaque Loudon; quelque brave et expérimenté que soit ce général, tu remporteras la victoire; j'animerai tes troupes, et tu verras que le proverbe qui dit, Ils se sont battus comme des diables, sera réellement effectué. »
Votre Révérence sait le reste de cette odieuse aventure. Le Roi battit le lendemain le général Loudon, et remporta une victoire qui dégagea toute la Silésie. La cour de Vienne apprit peu de jours après, par la lettre interceptée dont je vous ai parlé, la cause de cette victoire; mais, par une suite des ménagements et de la décence qu'elle a toujours conservés dans les écrits qu'elle a publiés contre ce prince, elle se contenta de faire insérer dans les gazettes que le roi de Prusse ne devait sa victoire qu'à l'avis qu'il avait reçu par un certain officier qui avait quitté l'armée autrichienne,b officier qui n'a jamais été nommé par son nom,c et qu'on a toujours désigné vaguement, parce que, pour le faire connaître plus distinctement, il eût fallu que la cour de Vienne eût nommé le diable.
Le roi de Prusse, ayant tiré un si grand avantage des secours qu'il avait reçus de l'enfer, songea à s'attacher pour toujours le magicien qui les lui avait procurés; et comme il savait que les philosophes aiment les pays où ils jouissent de ce qu'ils appellent une tranquillité honnête, il assura ce méchant homme que s'il voulait s'attacher à lui, pourvu qu'il respectât les lois divines et humaines, qu'il conservât pour les princes, même pour ceux qui sont ses ennemis, le respect qui est dû aux têtes couronnées, il ne serait jamais brûlé comme le sont les juifs en Portugal et en Espagne, ni mis à l'inquisition comme le fut Galilée en Italie, quand même il soutiendrait que les papes ont fait danser quelque-
b Voyez t. V, p. 72.
c Le général de Gaudi dit dans son Journal sur la guerre de sept ans, Campagne de 1760, première partie, p. 283, que cet officier se nommait Wiese, et qu'il se donnait pour un aide de camp du général O'Donnell.
Le Journal de Gaudi, en allemand et en dix volumes in-folio, se trouve en manuscrit aux archives du grand état-major de l'armée, à Berlin. L'Avertissement en tête du premier volume est daté : Wesel, im Jahre 1778.