<99>ne nous défend pas d'aimer ces hommes dans lesquels il s'est complu d'imprimer des caractères de grandeur et de vertu singulière. Oui, messieurs, un cordonnier peut être né grand homme; tout métier utile par là même n'est point ignoble. La manière dont il est exercé peut l'élever encore; il y a plus de mérite à bien labourer un champ, à faire de bons draps ou des chaussures commodes, qu'à mal administrer la justice, qu'à embrouiller les finances, qu'à ne pas savoir conduire des détachements à la guerre, ou qu'à se laisser enlever la victoire par un ennemi plus vaillant ou plus habile. Il n'y a rien d'abject dans la condition d'un homme qui nous fournit des secours pour des besoins indispensables; et, en effet, qu'est-ce qui est plus nécessaire que la chaussure? Elle nous garantit contre la rudesse des pavés inégaux et raboteux, contre les intempéries des saisons, contre la malpropreté des boues et des fanges. Une chaussure mal faite révolte par sa forme désagréable; elle presse le pied, et lui donne, en le gênant, des duretés qui causent des douleurs à chaque pas que l'on fait; elle n'empêche pas l'eau d'y pénétrer et d'y occasionner, à force de refroidissement, des humeurs goutteuses, maladie cruelle qui, par de longs tourments, conduit au tombeau. Matthieu Reinhart excellait à éviter tous ces défauts; ses ouvrages avaient atteint le degré de perfection dont ils sont capables. Il avait surpassé tous ses compagnons et tous ses émules par son talent; et quiconque s'élève d'une manière aussi triomphante sur ses compétiteurs est sûrement un grand homme, celui qui gouverne sagement, avec ordre et avec application son atelier et sa maison gouvernerait de même une ville, une province et, pour ne rien dissimuler, un royaume. Oui, messieurs, ce bon citoyen que nous pleurons avait des qualités qui n'auraient point déparé le trône, tandis que nombre de ceux qui l'occupent sans talent et sans application ne seraient que de mauvais cordonniers, si l'aveugle fortune qui dirige les naissances ne les avait faits ce qu'ils sont, par charité, et pour que ces hommes ineptes ne mourussent pas de faim et de misère.
Vous dont l'oreille superbe s'offense des éloges d'un artisan habile et des vérités hardies que j'ose vous dire, rougissez, non pas de mon discours, non pas de ce qu'on loue devant vous un