<196>l'excès d'empressement que les courtisans affectent de leur marquer en toute occasion, et j'ai cru qu'il fallait se conduire avec vous, monseigneur, à peu près comme avec un très-honnête homme d'un rang beaucoup inférieur. Je suis, sans vanité, très-mauvais courtisan, et je serais même fâché qu'on me soupçonnât de l'être, parce qu'il me semble que ce serait me soupçonner de bien des vices, et surtout de fausseté. Je vis hier un Suisse dont je ne pus savoir le nom, parce qu'il me vint voir seul; il venait de voyager en Allemagne. Je le fis parler sur ce pays-là, et tout naturellement il vous donna des louanges simples, sans aucun tour, sans intérêt, et qu'assurément il ne croyait pas qui vous dussent revenir. Je défierais bien toute votre cour de vous en donner d'une aussi bonne espèce. Surtout votre amour pour les sciences plaisait fort à mon Suisse, qui ne se donnait pourtant pas pour savant. Je sentis que ma vanité me sollicitait de lui dire que j'avais l'honneur d'être connu de V. A. R., et même d'en avoir reçu une lettre; je résistai à ce mouvement-là, mais je crains qu'il n'y ait encore beaucoup de vanité à me vanter d'un si grand effort de modestie. Je suis, etc.
3. DU MÊME.
Paris, 29 septembre 1737.
Monseigneur
Un a dit anciennementa qu'il faudrait, pour le bonheur des États, que les philosophes fussent rois, ou que les rois fussent philosophes. Mais serait-ce la même chose des deux façons? Pour moi, je crois qu'il y a de la différence. Que les philosophes soient rois, voilà de pauvres gens à qui la tête va tourner, ou du moins j'en ai grand' peur. Que les rois soient philosophes, ce sont des gens que leur bonne constitution a sauvés d'un grand péril, et
a Platon, De la République, liv. V.