2. A LA MÊME.

Madame, les sauterelles qui désolèrent ce pays ont toujours eu assez d'égards pour vous, qu'elles ont ménagé vos terres. Un nombre innombrable d'insectes plus vilains et plus dangereux que ceux ci-devant nommés vont se rendre chez vous, madame; et, non contents de déserter le pays, ces animaux auront la hardiesse de vous attaquer jusque dans votre propre château. On les appelle vers; ils ont quatre pieds, des dents aiguës, un corps fort long, et une certaine cadence fait leur premier principe et leur donne la vie. Ceux-ci sont de fort mauvaise race; ils sont venus tout récemment du Parnasse, où le bon goût les a chassés. Je suis persuadé qu'ils auront un sort égal à Tamsel, endroit que les neuf Muses et Apollon même pourraient choisir afin de s'y faire juger, et dont le jugement serait certainement juste. Je me réjouis fort cependant de voir que le soin paternel du sieur Apollon se réveille, et qu'il prend à présent soin de purger le Parnasse des mauvaises productions faites par de chétifs poëtes. Je crois que cela lui doit aller fort bien quand, avec une grande chambrière, il se met à chasser ces monstres poétiques. Comme je suis du nombre de ceux qu'il a étrillés, je puis, madame, vous en donner des nouvelles. J'assure que, à le voir, il était l'ébauche vivante d'un de ces gens qui chassent les chiens des églises. Ce n'est pas par rancune que je lui donne cette épithète, quoique, en quelque façon, j'aie lieu d'en avoir, car mes intentions, depuis <11>que je me mêle de la poétique, ont été, pour l'ordinaire, de priser la beauté des dames, d'y mêler un peu de tendre, et je crois que cette matière fait que l'on a beaucoup de support pour la rime. Soit ce qu'il en soit, je lui pardonne les coups et tout. Mais comme la récompense du bien accompagne toujours la punition du mal, je suis persuadé, madame, que les beaux progrès que vous avez faits dans ce même art ne resteront pas sans être récompensés. Je suis, de plus, persuadé que les doctes Sœurs vous adopteront pour dixième. Gare seulement que vous ne leur donniez trop de jalousie, car si elles avaient l'honneur de vous connaître comme je l'ai, votre esprit, votre mérite, votre beauté, qui les surpasse de beaucoup, serait l'unique raison qui pourrait altérer ce projet. En cas que vous profitiez de leur ignorance, je vous supplierais, madame, de faire des remontrances au sieur Apollon de ses manières d'agir. Dites-lui, s'il vous plaît, qu'il ne sied pas bien à un directeur des arts et des sciences de maltraiter une personne d'honneur, et que ses coups de gaule n'étaient point du tout polis. Je lui suggérerais volontiers un moyen de me punir dorénavant de laçon qui ne me fera aucune peine, ni à tout autre poëte. Qu'il crée un ordre de chevalerie; il pourra les nommer chevaliers de la Mauvaise Rime. En nous en donnant les insignes, il dépendra de lui de nous étriller comme bon lui semblera, et l'honneur de la chevalerie nous fera endurer les coups patiemment. J'ai la confiance en vous, madame, que vous me ferez ce plaisir, ou, si vous me voulez tirer de cette difficulté, vous le pouvez sans peine.

Permettez seulement que j'ose faire mes vers sous vos auspices, et que je puisse vous invoquer pour les faire; lors je ne pourrai rien faire de mauvais au nom d'une personne si parfaite. J'attends mon arrêt, madame, sur ma prière; je l'attends avec impatience, mais aussi avec résignation. Faites et disposez comme il vous plaira; mais permettez-moi seulement d'oser vous assurer que je serai, tant en prose qu'en vers, avec beaucoup d'estime et de vénération, madame,

Votre parfaitement fidèle ami et serviteur,
Frideric.

ODE.

<12>Permettez-moi, madame, en vous offrant ces lignes,
Que je vous fasse part de cette vérité :
Depuis que je vous vis, j'ai été agité;
Vous êtes un objet qui en êtes bien digne.
Mon cœur a ressenti qu'un trait trop plein d'adresse
Est trop capable, hélas! d'ôter la liberté.
Quoique je sois à cette heure au temps de puberté,
Le inonde dit pourtant que c'est une faiblesse.
Ma faiblesse me plaît, et semble préférable
A des cœurs qui sont durs, semblables à des rochers;
Et quand l'on me dirait que ce serait pécher,
Vous valez un péché, vous êtes trop aimable.
Je ne me trouve pas moi-même assez capable
De vous faire sentir ce qu'éprouve mon cœur.
Aimer est un bonheur, aimer est un malheur;
Tantôt on est content, tantôt cela accable.
Tirez-moi donc de peine, et soyez mon arbitre,
Car je n'attends de sort que sorti de vos mains.
Je suis dans l'esclavage, je suis dans vos liens,
Et ne demande pas jamais un autre titre.
N'en ai-je pas trop dit? Réprimez ma hardiesse.
Du moins n'ai-je parlé comme vous fûtes ici;
Mais j'avais tant à voir dont j'étais en souci,
Car vous me paraissiez ainsi qu'une déesse.
Recevez donc, madame, un cœur qui est trop tendre,
Qui attend, impatient, seulement la permission
De vous faire souvent ses douces soumissions,
Et qui a balancé à cette heure de l'entreprendre.
Je compte les moments, je compte les minutes,
Afin de recevoir de vous la décision
Sur quoi je réglerai toutes mes actions.
Mais je crains ce malheur qui trop me persécute.
Qu'il me soit donc contraire en m'offrant des traverses,
Vous verrez que, malgré, je puis être constant;
Et si je n'ai pas lieu d'en être trop content,
Il faut que la patience à la fin pourtant perce.
Mais j'en ai écrit trop, et ma passion m'emporte;
Je crois vous ennuyer, vous priant à la fin
De croire que ce cœur, de vous rempli et plein,
Y persévérera toujours de même sorte.

Frideric.