31. AU MÊME.

Ruppin, 25 janvier 1733.



Monseigneur mon très-cher ami,

Je vous rends mille grâces des bons souhaits que vous me faites à l'occasion de l'anniversaire de ma naissance. Vous pouvez compter que pendant toute ma vie, fût-elle égale à celle de Mathusalem, je me ferai une application de vous montrer, et à votre famille, que je ne suis ni ne serai jamais irreconnaissant. Tout ce que j'apprends au sujet de ce qui se passe avec ma pauvre sœur et le margrave de Baireuth m'afflige jusqu'au fond du cœur, et ce qu'il y a de pis, c'est la misère où ils se trouvent. Je leur ai trouvé de l'argent, sans quoi, je crois, ils n'auraient pas le sou. Tenez, mon cher ami, cela est si triste, que je suis tout mélancolique quand j'y pense. Et comment puis-je fournir à leur subsistance, moi qui n'ai pas à subsister moi-même, si quelque autre ne les aide? Il est à la vérité triste d'y avoir recours; mais que faire, mon cher ami? Et après tout, il vaut mieux passer par là que de les laisser mourir de faim.

Je sais toujours que je suis en bonnes mains quand l'on vous parle sur mon sujet, et je ne souhaite jamais de tomber dans de plus mauvaises. Pour ce que le Roi dit, que l'on verrait mon caractère quand je serais marié, je n'y comprends rien, car on le <78>peut voir à présent, et rien ne me fait plus changer; pourvu qu'il me croie honnête homme, je suis content, et j'espère soutenir ce caractère jusqu'à ma mort. J'en connais les difficultés, mais la religion et l'honneur les savent vaincre. Enfin, mon cher ami, je me mets au-dessus de l'opinion du monde, et je préfère la réalité de l'honnête homme à l'idée ou à la présomption de la multitude; et pour mon caractère sans gène et enclin aux plaisirs, il me porte plutôt à être honnête homme qu'un tempérament atrabilaire.

Wolden a été chargé de ma sœur de Baireuth de me prier de vous écrire, et c'est cela qui lui a fait soupçonner ce que ma lettre pourrait contenir. Je me garderai bien de confier rien à lui, qui est babillard et imprudent au suprême degré. Je ne m'étonne point que le roi de Pologne baisse; il a tant été, qu'il peut bien une fois cesser d'être. C'est bien le prince de toute l'Europe le plus faux, et pour lequel j'ai le plus d'aversion; il n'a ni honneur ni foi, et la supercherie est son unique loi; son intérêt et la division des autres est son étude. Je l'ai appris au camp de Radewitz,85-a et il m'a fait des tours que je n'oublierai de ma vie. Mais je n'ai été dupé de lui qu'une seule fois; bien fou si jamais il m'y rattrape.

J'avoue que je ne sens pas une grande impatience pour le voyage à Brunswic, sachant déjà d'avance tout ce que ma muette me dira. C'est pourtant sa meilleure qualité, et je tombe d'accord avec vous qu'une sotte bête de femme est une bénédiction du ciel. Enfin je jouerai la comédie de Brunswic qu'il n'y manquera rien, et il signer Brighetta tiendra des propos amoureux avec la bella Angelica; mais je crains fort que je ne sois obligé de faire le complet de répondre pour elle. Je souhaite de tout mon cœur que votre chute, mon très-cher ami, ne soit d'aucune suite dangereuse, et que le ciel nous conserve longtemps votre vie, afin que j'aie d'autant plus d'occasions de vous prouver que je suis très-sincèrement et avec beaucoup d'estime et de considération, etc.

Frederic.

<79>Comme j'achève ma lettre, je m'aperçois que je l'avais commencée sur le même papier où j'avais fait le brouillon à mon colonel. Je vous en demande bien pardon; mais comme la poste part, je n'ai pas le temps de la copier. L'affaire du lieutenant Bredow, dont je lui voulais écrire, est assez curieuse; mais comme elle a fait beaucoup de bruit, je ne doute pas que vous n'en soyez déjà complétement informé.


85-a Voyez t. I, p. 184.