20. DU MÊME.
Dresde, 29 juin 1736.
Monseigneur
Je me suis rendu ici à très-petites journées, et, quoique j'eusse bien résolu de ne pas perdre de temps, et de travailler chemin faisant, je n'ai pu cependant en trouver la commodité. Du reste, je n'ai jamais fait en ma vie de voyage plus agréable et plus délicieux que celui-ci, car j'ai eu continuellement en main la dernière lettre dont V. A. R. m'a honoré; je l'ai lue et relue mille fois sans pouvoir m'en rassasier, et, me livrant sans réserve aux douces réflexions qu'elle m'inspirait, je suis enfin arrivé ici sans rien savoir de tout ce voyage, sinon que j'étais parti de Lübben.
<271>Je voudrais qu'il me fût possible de rendre compte à V. A. R. de toutes les réflexions que j'ai faites pendant ce temps; mais leur nombre et leur rapidité fait que je n'en ai plus qu'un souvenir confus. Je n'ai sans doute pas besoin de dire à V. A. R. quel en a été l'objet, et combien un objet si grand et si sublime était propre à élever les pensées et les sentiments de mon âme. Tout ce qui peut faire l'admiration des hommes entre si nécessairement dans l'essence de cet objet, qu'on pourrait s'en occuper toute sa vie sans en épuiser pour cela les sujets qu'on a de l'admirer. Cette chaîne de réflexions me ramenant de temps en temps à moi-même, je me sentais le plus heureux des mortels, en songeant à l'intérêt qu'un prince si parfait daigne me témoigner. Oui, me disais-je, quel que soit mon sort, je devrai toujours faire envie à tout le monde, aussi longtemps que V. A. R. daignera me conserver de pareils sentiments. Vous m'avez rendu la santé, monseigneur, peut-être la vie; ainsi c'est à vous que je la dois, et que je fais vœu de la consacrer. Prenez possession de moi, comme d'un bien qui vous appartient par les droits les plus sacrés. Vous m'avez doué d'une tranquillité d'âme que rien au monde n'est capable d'altérer, d'une fermeté que rien ne peut ébranler, et je sens intimement que je puis maintenant être heureux en dépit du sort. La seule chose qui puisse encore m'affliger, c'est l'éloignement dans lequel les circonstances me condamnent encore à vivre de V. A. R. Vous êtes, monseigneur, pour m'exprimer figurément, vous êtes mon soleil; car, dès que je ne suis plus à portée d'éprouver la douce influence de vos rayons, je sens un froid se glisser si profondément dans mon âme, que rien n'est capable de la réchauffer. Aussi toutes mes pensées, toutes mes démarches tendent-elles à me ménager la liberté de pouvoir un jour venir vivre dans le doux climat que ce soleil bienfaisant doit éclairer, et de participer à la félicité du peuple fortuné auquel il promet un printemps de bonheur perpétuel. Je me flatte même d'y réussir avec le temps, et de trouver enfin les moyens de venir couler mes derniers jours près de la merveille de notre siècle, afin de pouvoir me délecter à la contempler et à lui rendre mes sincères hommages. Voilà, monseigneur, ce qui manque encore à ma félicité, et je mourrais sans doute aujourd'hui sans regret, <272>si je devais renoncer pour toujours à cette douce espérance, le seul soutien de ma faible vie.
Je suis, monseigneur, et serai jusqu'au tombeau, avec les sentiments du plus profond respect et du plus entier dévouement, etc.