27. DE M. DE SUHM.

Dresde, 27 août 1736.



Monseigneur

Les inquiétudes mortelles que j'ai senties, pendant que je savais Votre Altesse Royale engagée dans un rude et long voyage, ne pouvaient être <283>mieux calmées que par la précieuse lettre dont elle m'a honoré depuis son retour; car l'assurance que V. A. R. jouit d'une santé parfaite, c'est-à-dire, telle que mes vœux les plus ardents prient sans cesse le ciel de la lui accorder, me rassure, me tranquillise entièrement sur tous les autres événements qui me regardent dans ce monde. Et quand, par un retour sur moi-même, il eût pu me rester quelque tristesse, la généreuse bonté avec laquelle V. A. R. daigne s'intéresser à mon sort m'a causé une joie si pure, si vive et si parfaite, que je défie maintenant le monde entier de porter atteinte à ma tranquillité. Les solides réflexions qu'il a plu à V. A. R. d'y ajouter ont achevé de me rendre stoïcien. Les raisons philosophiques se soutiennent sans doute les unes les autres, et n'ont besoin d'aucun appui étranger; cependant il m'a semblé sentir qu'elles ont plus de force dans la bouche d'un grand prince, ou qu'au moins elles frappent davantage, peut-être parce qu'on n'est pas accoutumé à les voir partir de si haut. Il est vrai que je ne suis pas en ceci dans le cas des autres hommes, et que j'ai le bonheur de voir cette merveille de si près, que je ne devrais que l'admirer sans en être frappé. Mais, monseigneur, vous faites voir à l'univers en vous un prince si accompli et d'une trempe si nouvelle, que vous devez vous attendre à ne voir cesser la surprise que vous excitez qu'avec la vie de tous ceux dont vous allez faire les charmes et l'admiration.

La description poétique, toute vive et toute charmante que V. A. R. a bien voulu me faire de sa retraite a causé en moi deux effets contraires. Je sens un grand plaisir à penser qu'elle y jouit de la solitude et de la tranquillité que sa grande âme recherche par goût, et préfère par raison, y trouvant plus facilement la nourriture qui convient aux âmes de sa trempe; mais je sens aussi un cuisant chagrin de n'y pouvoir passer mes jours et partager moi-même le bonheur de ceux qui y jouissent de la présence et du précieux commerce de V. A. R. Non, cette épreuve est la seule que j'excepte pour mon stoïcisme; et si l'espérance ne me soutenait, j'y succomberais sans doute.

La philosophie de Wolff est en sûreté depuis qu'elle est entrée en faveur chez V. A. R.; et c'est aussi, j'espère, en reconnaissance de la protection que vous daignez lui accorder, monseigneur, et <284>à votre exemple, qu'elle me fera grâce sur le tort que lui pourrait faire ma traduction, quelque éloge qu'il plaise à V. A. R. d'en faire. Et ce qui me rassure à cet égard, c'est l'espérance que les autres traductions auxquelles on travaille maintenant, comme je l'apprends avec grand plaisir, la dédommageront de tout ce que lui aura fait souffrir la mienne.

Agréez, monseigneur, les assurances de mon profond respect et de mon parfait dévouement, etc.