31. DE M. DE SUHM.
Dresde, 28 septembre 1736.
Monseigneur
L'excès de la joie que m'a causée la gracieuse marque qu'il a plu à V. A. R. de me donner de son souvenir et de son amitié, autant par son obligeante lettre du 12 que par le charmant présent qui l'accompagnait, ne me laisse aucune expression capable de lui en témoigner dignement toute ma reconnaissance. De quels termes assez énergiques pourrais-je en effet me servir pour exprimer une millième partie seulement du sentiment que j'éprouve? Ah! je le sens, monseigneur, les armes que la philosophie nous offre contre l'excès de la douleur sont trop faibles contre les transports de la joie; et moi, qui suis déjà, j'ose bien le dire, assez endurci contre les coups du sort, je me sens prêt à succomber aux atteintes de la félicité. Oui, monseigneur, croyez-en la sincérité de mon cœur, je n'exagère point, c'est pour moi la félicité suprême sur la terre que de penser aux généreuses faveurs, aux témoignages si précieux de l'amitié inestimable dont me comble le plus grand, le plus digne prince; et dans les transports <289>de la joie dont mon cœur est comme enivré, quelle expression me resterait-il qui pût répondre à l'ardeur du sentiment dont je sens brûler mon âme? C'est une passion, c'est un amour. Mon pauvre corps est trop faible pour soutenir une émotion si puissante, trop débile pour nourrir un feu si ardent, capable de le consumer; et le moment où mon âme calmée se trouve dans une paisible assiette est celui où je commence à pouvoir exprimer faiblement, comme je le fais, une ombre légère des sentiments ineffables dont mon âme était remplie.
Qui pourra jamais concevoir l'affection que j'ai pour cette charmante montre, gage précieux qu'il a plu à V. A. R. de me donner de son amitié? Oui, je l'idolâtre. Cent fois le jour je prends plaisir à la faire répéter. Mais ce qui me touche si sensiblement, ce n'est sûrement pas tant le présent en lui-même que la manière si noble et si délicate dont il m'a été offert, et les expressions si obligeantes qui l'accompagnaient. Oh! vous avez là un secret, monseigneur, qui augmentera toujours à l'infini le prix de vos bienfaits. Soyez persuadé, je vous en conjure, que cette montre ne marque pas une seconde qui ne soit comptée par quelque vœu de ma reconnaissance, pas une seconde qui ne surprenne en moi le désir ardent de me voir aux pieds de V. A. R. pour lui témoigner mes adorations. Mon impatience à cet égard est à son comble, et je compte mes malheurs par les moments du triste éloignement où je me vois condamné à vivre d'elle; et si les témoignages qu'il plaît à V. A. R. de me renouveler si souvent de la continuation de ses bonnes grâces ne me soutenaient, j'y aurais déjà sans doute succombé depuis longtemps. Mais je me flatte de sortir bientôt d'une si cruelle incertitude, et me console, en attendant, par les assurances de sa bienveillance. Conservez-la-moi, monseigneur, et mettez-y pour prix ma vie. Je la tiendrai toujours prête, et m'estimerai le plus heureux des hommes de pouvoir vous la consacrer jusqu'à mon dernier soupir, et même de vous la sacrifier, s'il le faut, afin de vous prouver avec quels sentiments je suis, etc.