36. A M. DE SUHM.
Remusberg, 16 novembre 1736.
Mon cher Diaphane,
Depuis les mesures que vous avez prises dernièrement à l'égard de notre correspondance, tout va le mieux du monde; je reçois vos lettres assez régulièrement, mais un peu vieilles, et je me pique de répondre le plus tôt qu'il m'est possible. Celle que l'on m'a rendue aujourd'hui est du 29 d'octobre. J'attribue la raison de l'avoir reçue si tard aux détours qu'elle a été obligée de faire avant que de parvenir jusqu'à moi. A moins que je n'aie quelque lettre indispensable à écrire en cour, ou à des personnes délicates, à des ministres qui prennent d'abord ombrage, et condamnent les moindres retardements, votre correspondance est toujours la première.
Je m'intéresse trop vivement à tout ce qui vous regarde pour n'être pas touché sensiblement du peu de succès qu'a eu votre séjour à Dresde. Il m'aurait été bien doux de vous voir chez moi : ce voyage ne vous aurait pas non plus, à la vérité, mené à quelque chose de réel, mais vous n'auriez pas au moins couru risque de vous tromper en croyant venir chez un ami. Vous m'auriez trouvé ravi de vous voir, et prêt à vous procurer tous les agréments que j'aurais pu. Ma maison n'est pas, à la vérité, un endroit où l'on puisse se divertir avec bruit; mais le repos, la tranquillité et l'étude de la vérité ne sont-ils pas de beaucoup préférables aux bruyants et frivoles plaisirs de ce monde? Je n'ai jamais passé de jours aussi heureux que ceux que j'ai été ici. Il ne manque à mon contentement que le plaisir de vous y voir. Si cela ne se peut, vous ne trouverez pas mauvais que je vous appointe à Berlin, où je serai sûrement au commencement de décembre. Et puisque notre sort ne nous permet pas de nous voir plus d'une fois tous les ans, ne me privez pas cette année de cette satisfaction, puisque, si je commence la nouvelle avec vous, ce me sera le plus heureux augure que je puisse désirer.
Il me semble que je vous revois au coin de mon feu, que je vous entends m'entretenir agréablement sur des sujets que nous <298>ne comprenons pas trop tous deux, et qui cependant prennent un air de vraisemblance dans votre bouche. Wolff dit sans contredit de belles et bonnes choses, mais on peut pourtant le combattre, et dès que nous remontons aux premiers principes, il ne nous reste qu'à avouer notre ignorance. Nous vivons trop peu pour devenir fort habiles; de plus, nous n'avons pas assez de capacité pour approfondir les matières, et d'ailleurs il y a des objets qu'il semble que le Créateur ait reculés, afin que nous ne puissions les connaître que faiblement.327-a Je commencerai bientôt à attiser le feu qui vous échauffera. Je vous prie, mon cher Diaphane, que mes soins ne soient pas perdus. Je vous promets beaucoup d'amitié de ma part; c'est la seule monnaie avec laquelle je suis en état de vous payer; elle est de peu de prix pour ceux qui n'ont point de sentiments. Je vous rends assez justice, mon cher, pour ne pas même vous soupçonner d'une pareille insensibilité. Je me flatte que mon amitié vous est chère. C'est encore de la fumée, il est vrai, mais qui peut se consolider; c'est une bonne intention qui se réalisera un jour, et dont je ne désespère pas de vous faire sentir les influences. C'est à la vérité vous prêcher la patience, mais c'est en même temps vous faire l'éloge de l'estime et de la constante amitié avec laquelle je suis,
Mon très-cher Diaphane,
Votre très-fidèlement affectionné ami,
Frederic.
327-a Voyez la lettre de Voltaire à Frédéric, du 26 août 1736.