<19>compté qu'au nombre de ces faibles mortels dont la vertu n'est que comme un thermomètre qui a besoin d'être échauffé par l'exemple d'une vertu supérieure pour se monter sur le même ton.
J'ai lu le mémoire du digne Voltaire, et j'ai déploré le temps précieux qu'il a employé à le composer. Si la réputation du chantre de la Henriade, de l'auteur de l'Histoire de Charles XII, du traducteur de Newton, n'était que d'un jour, il ferait assurément bien de se justifier et de se laver du venin de la calomnie aux yeux du public, comme le ferait un homme inconnu auquel ce public aurait pu faire injustice. Mais il me semble que M. de Voltaire est bien loin d'être dans ce cas; il est connu généralement, l'univers entier a ses ouvrages entre les mains. La raison du bannissement de Rousseau, le procédé indigne et infâme de ce poëte, l'affaire de l'abbé Desfontaines, le service que Voltaire lui a rendu, tout cela sont, madame, des faits qui ne sont ignorés de personne. Un lecteur sensé se rappelle le caractère de Rousseau et l'ingratitude de Desfontaines en lisant leurs écrits, et il se révolte lorsqu'il voit les nouveaux libelles dont on ne cesse de poursuivre Voltaire. Il me semble, madame, qu'il aurait suffi de laisser penser le lecteur et de ne lui point répéter ce dont il est déjà instruit. D'ailleurs, M. de Voltaire se compromet en quelque manière lorsqu'il honore Rousseau et Desfontaines d'une réponse à leurs infâmes écrits; je crois qu'il aurait suffi de se plaindre au chancelier des auteurs indignes de ce libelle injurieux, et que la punition de ces infâmes aurait été plus honorable à M. de Voltaire que les horreurs de leur vie, dont il fait le portrait. Non, ce n'était point sur ces indignes originaux que devait s'exercer son pinceau; il est trop noble pour être avili de la sorte; ce sera moi qui revendiquerai le temps et les pensées que M. de Voltaire y a perdus. Se défendre contre des accusations est le pas le plus glissant pour l'amour-propre; il n'est guère possible de se justifier sans se louer soi-même, et rien n'est plus odieux que l'encens qu'un auteur brûle sur ses propres autels. Celui qui se justifie contre les traits que la calomnie a lancés sur son honneur est dans la triste nécessité de se louer soi-même; ainsi il me semble que ces apologies conviendraient mieux dans la bouche d'un ami; elles feraient plus d'honneur à la modération de la personne