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129. DE M. JORDAN.

Berlin, 8 mai 1742.



Sire,

N'est-il pas surprenant qu'on me demande mon avis sur cette question : s'il faut user du plaisir quand il se présente à nous? Je serais tenté de ne point répondre, car

Il faut penser bien gaîment
Pour décider cet important problème;
Quand on est triste par soi-même,
On ne peut du plaisir parler que faiblement.

Et j'avouerai à V. M. que, si j'ai de la joie, ce n'est que dans l'esprit : je n'en ai point dans le cœur. Ainsi cette joie n'est point naturelle; c'est une joie aussi fausse que l'était l'air majestueux de Baron quand il jouait le rôle de Mithridate. J'entreprendrai la décision de cette question, moyennant que je ne consulte que l'esprit; je prouverai sous ses auspices non seulement qu'il faut user du plaisir quand il se présente à nous, mais même qu'on commet un péché quand on ne le fait pas.

Fuir le plaisir, c'est hérésie;
En profiter, c'est agir sagement
L'un est péché, qui damne sûrement,
L'autre a son prix en l'une et l'autre vie.

Je n'aurai pas beaucoup de peine à prouver qu'il faut user du plaisir quand il se présente, puisque notre inclination nous y porte tous, à la vérité les uns plus fortement que les autres. Vouloir prouver cette vérité, c'est vouloir prouver qu'il est nécessaire de boire quand on a bien soif.

Le sentiment est toujours écouté,
Nous le suivons même avec complaisance;
Ce précepteur n'est jamais rebuté,
Et son autorité jamais ne nous offense,

parce que le sentiment nous prescrit des devoirs qui conviennent non seulement à notre goût, mais même à nos besoins. J'ai une foule de raisons à alléguer à V. M. pour prouver ma thèse. La première, c'est que nous devons remplir les devoirs de notre vo-