<39>Deshoulières,b les Sévigné ont brillé par la beauté de leur génie et la finesse de leurs pensées; les Dacier étaient savantes, mais rien de plus. Vous nous faites voir un phénomène bien plus extraordinaire, et l'on peut dire, sans blesser votre modestie, que les sciences que vous possédez, et votre façon de penser et de vous exprimer, sont autant supérieures à celles de ces dames que l'est le génie de Voltaire à celui de Boileau, ou celui de Newton à celui de Des Cartes. Vos Institutions physiques séduisent, et c'est beaucoup pour un livre de métaphysique. S'il m'est permis de vous dire mon sentiment sans déguisement, je crois qu'il y a quelques chapitres où vous pourriez resserrer le raisonnement sans l'affaiblir, et principalement celui de l'étendue, qui m'a paru tant soit peu diffus. Vous me ferez d'ailleurs plaisir et honneur de m'envoyer tout l'ouvrage achevé. On ne saurait assez vous encourager dans ce goût si rare que vous avez pour les sciences. J'espère que la facilité avec laquelle vous y faites des progrès si merveilleux encouragera les dames à vous suivre, et qu'elles renonceront enfin à ce misérable goût pour le jeu qui les avilit, et qui assurément ne peut que les rendre méprisables.

J'ai connu par la correspondance de M. de Voltaire qu'il était ami tolérant; et que serait l'amitié sans indulgence et sans politesse? La haine exerce un pouvoir tyrannique sur les esprits, elle fait des esclaves; mais l'amitié veut que tout soit libre comme elle. Il lui faut le cœur, mais elle est indifférente sur les opinions et les sentiments de l'esprit. Si l'on considère, d'ailleurs, ce que c'est que les opinions et les sectes, on verra que ce sont des points de vue différents d'un même objet aperçu par des yeux presbytes ou myopes; ce sont des combinaisons de raisonnements qu'une bagatelle souvent fait naître, et qu'un rien détruit; ce sont des saillies de notre imagination plus ou moins vive, plus ou moins bridée. C'est donc le dernier excès de la déraison que de renoncer


b Le Roi publia plus tard un Choir des meilleures pièces de madame Deshoulières et de l'abbé de Chaulieu. A Berlin, chez G.-J. Decker, imprimeur du Roi. MDCCLXXVII, cent quatre-vingt-huit pages in-8. Voyez t. X, p. 109.