155. A M. JORDAN.
Camp de Kuttenberg, 20 juin 1742.
Tirez-vous des barbares mains
De vos maladroits médecins,
Et laissez au vulgaire ignare
Boire le poison que prépare
La Faculté des assassins.
Auriez-vous foi à des pilules,
Vous que, parmi les incrédules,
Nous comptons pour un des plus fins?
Telle est la raison des humains,
Incertaine et contradictoire,
Par des effets fort clandestins
Vous plaçant, dans un consistoire,
En rang d'oignon parmi les saints,
Et le soir, dans un réfectoire,
Chez des diables et des lutins.
Ainsi raisonnent les robins :
Cette erreur paraît bonne à croire;
Mais celle-ci, c'est autre histoire,
J'en ris avec les libertins.
J'espère qu'avec toute votre sagesse vous reviendrez une bonne fois de l'erreur des médecins. Croyez-moi, ils n'entendent rien ou presque rien au métier qu'ils font de nous guérir; j'aimerais autant entretenir un joueur de gobelets pour m'enseigner la philosophie qu'un médecin pour me rendre la santé. Je suis bien aise que celle de Césarion se remette. Je me flatte de vous revoir <233>bientôt tous ensemble. Tout part d'ici journellement pour retourner chez soi.
Adieu, cher Jordan; n'oubliez pas vos amis, et aimez-moi toujours.