27. A M. DUHAN.
Bautzen. 7 décembre 1745.
Je ne sais pas comment a fait votre lettre pour se promener pendant sept jours entre Berlin et ici. Vous êtes si laconique, mon cher Duhan, dans votre morale, que vous n'indiquez que des sentences sur lesquelles les ignares et moi pouvons faire des commentaires.
La gloire et la réputation sont comme ces vents favorables qui secondent quelquefois les navigateurs, mais qui ne sont presque jamais constants. Les gens avides de gloire me reviennent comme ces Hollandais qui, dans le commencement de ce siècle, employaient tant de sommes considérables pour avoir des fleurs dont la beauté passagère se fane et se flétrit quelquefois au couchant du même soleil qui, le matin, les fit éclore. Parmi les hommes de mérite, les premiers sont, sans contredit, ceux qui font le bien pour l'amour du bien même, qui suivent la vertu et la justice par sentiment, et dont les actions de la vie sont les plus conséquentes; et ceux d'un ordre inférieur font les grandes actions par vanité. Leur vertu est moins sûre que celle des premiers : mais, quelque impure que soit cette source, dès que le bien public en résulte, on peut leur accorder une place parmi les grands hommes. Caton était de ce premier ordre, Cicéron, du second; aussi voit-on que l'âme du stoïque est infiniment supérieure à l'âme de l'académicien.
Mais je ne sais à quoi je m'amuse de vous faire un grand sermon de morale, à vous, à qui je ne devrais parler que de l'estime que m'inspire votre vertu toujours égale et toujours sûre. J'espère de vous en assurer bientôt moi-même, quand une fois le <296>ciel permettra que je fasse fin ici aux horreurs de la guerre, et que je puisse, dans le sein de ma patrie et de ma famille, jouir de la douceur du commerce de mes amis, et donner aux sciences les moments que je ne dois point à l'État.
Adieu, cher Duhan : soyez persuadé que je vous aime de tout mon cœur.
Federic.