<215>Je vous demande pardon, ma chère duchesse, du compte que je vous rends de cette lecture; vous êtes sans doute plus en état d'en juger qu'un autre. Je sais qu'on m'accuse dans le monde de protéger assez volontiers ceux dont la foi n'est pas tout à fait conforme à l'orthodoxie. Cependant ce ne sont ni ceux qui sont incrédules par légèreté, ou par esprit de débauche, ou par air, qui puissent s'attirer mes suffrages; il faut de bonnes, de solides raisons, que l'ouvrage soit écrit avec une exactitude rigoureuse, et avec la décence convenable à quiconque adresse la parole au public. Il n'y a point d'idée plus extravagante que celle de vouloir détruire la superstition. Les préjugés sont la raison du peuple, et ce peuple imbécile mérite-t-il d'être éclairé? Ne voyons-nous pas que la superstition est un des ingrédients que la nature a mis dans la composition de l'homme? Comment lutter contre la nature, comment détruire généralement un instinct si universel? Chacun doit garder ses opinions pour soi, en respectant celles des autres. C'est l'unique moyen de vivre en paix durant le petit pèlerinage que nous faisons en ce monde, et la tranquillité, madame, est peut-être la seule portion de bonheur dont nous soyons susceptibles. Pourquoi la troubler en ferraillant dans des ténèbres métaphysiques contre des furieux qui, s'ils sont vaincus, s'en vengent en rendant leur champion l'exécration du peuple? J'abandonne l'auteur anonyme à son destin. Je lui souhaite qu'il reste anonyme longtemps, ou il risque qu'on lui fasse un mauvais parti. Les tyrans tonsurés auxquels il a affaire n'entendent pas raillerie, et l'enverraient à la potence pour avoir mal raisonné et frondé avec trop d'audace les objets de la vénération publique. Pendant qu'on le recherche en France, et que des prélats zélés préparent son supplice, nous avançons ici, madame, l'ouvrage de la paix, de sorte que les préliminaires pourront être signés le 11 de ce mois. Je suis persuadé, ma chère duchesse, de la part que vous y prenez, et du plaisir que vous ressentirez en voyant finir tant de calamités qui, durant sept années, ont affligé l'Allemagne.
Je compte que mes neveux ont à présent l'avantage de jouir de votre présence et de profiter de vos entretiens. Je leur envie bien ce bonheur, mais je me console sur ce que je pourrai bien un jour avoir mon tour. Permettez-moi de m'en flatter, et ren-