<229>pour opprimer, autant qu'il aurait pu, les lueurs de bon sens et de raison qui éclairent l'Allemagne. Quel ravage aurait fait l'intolérance soutenue, appuyée et triomphante par l'appui de la cour de Vienne! Quelle persécution affreuse se serait étendue sur les protestants et sur tous ceux qui n'étouffent point les lumières de leur raison! Pour moi, je vous l'avoue, ma chère duchesse, je bénis le ciel de me retrouver ici tranquille, et de penser au moins qu'un tel malheur n'arrivera pas le peu de jours qui me restent à vivre. Je me réjouis de ce que les postes allemandes portent ouvertement de votre cour à mon ermitage des ouvrages où la superstition est terrassée, et où la vérité ose paraître à front découvert. Cependant ces consolations sont bien faibles quand on est privé du bonheur de vous voir face à face, bonheur que je regrette bien d'avoir perdu. Je forme sans cesse quelques projets pour me procurer un jour ce bonheur-là. Ne le trouvez pas mauvais, ma divine duchesse; quand on a eu le bonheur de vous connaître, c'est un mal réel que de souffrir la privation de cet avantage. Je serais peut-être en situation de vous dire ce que feu le maréchal Schulenbourga répondit à un barcarolo qui le pressait de se retirer d'une compagnie qu'il ennuyait : « Il se peut bien que j'ennuie ces gens-là, mais ils me font grand plaisir. » Si je vous ai ennuyée, je vous en demande sincèrement pardon; j'ose vous dire que je le mérite en quelque sorte par la haute estime et l'attachement avec lequel je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.
a Voyez t. XVI, p. vIII, et 109-112.