<68>santé de V. M. pourrait s'en passer, grâce à Dieu; et elle est à présent aussi bien remise qu'elle a été toujours précieuse.

Tene magis salvum populus velit, an populum tu,
Servet in ambiguo, qui consulit et tibi et Urbi
Juppiter.a

Si nous étions dans les beaux temps de l'antiquité, l'on ne verrait que sacrifices à la déesse Hygiée, que feraient les sujets de V. M. pour remercier cette divinité bienfaisante d'avoir répandu ses dons sur leur Titus. Mais quels seront les sacrifices ou plutôt les évocations que fera le pauvre Voltaire? Je le plains réellement d'avoir perdu ce qu'il ne retrouvera peut-être jamais; la perte d'une femme qu'on aime, et avec qui on passait sa vie, est irréparable pour ceux qui ne commandent pas des armées et ne gouvernent pas des États. J'en suis d'autant plus fâché, Sire, que ce malheur dérangera peut-être son voyage, et retardera le plaisir que V. M. se proposait avec ce grand maître dans un art dans lequel V. M. l'est d'autant plus, qu'elle en veut convenir le moins.

Je reçois dans le moment, Sire, les Amazones de madame Du Boccage, qu'elle me charge de présenter à V. M. comme un hommage (ce sont ses propres paroles) que tout auteur doit à celui qui les surpasse et les protége.

53. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 19 septembre 1749.

Je vous suis fort obligé de la tragédie que vous m'avez envoyée. Je ne l'ai pas lue encore. Il dépendra de vous d'aller à Sagan, à condition que vous me donnerez aussi huit jours ici. J'aime mieux vous entendre que de vous lire dans une langue que je ne suis qu'en hésitant. Voltaire déclame trop dans son affliction, ce


a Horace, Épîtres, liv. I, ép. 16, v. 27, 28 et 29.