17. AU MÊME.
Remusberg, 21 novembre 1740.
Mon cher cygne de Padoue, Voltaire est arrivé tout étincelant de nouvelles beautés, et bien autrement sociable qu'à Clèves. Il est de très-bonne humeur, et se plaint moins de ses indispositions que d'ordinaire. Il n'y a rien de plus frivole que nos occupations. Nous quintessencions des odes, nous déchiquetons des vers, nous faisons l'anatomie de pensées, et tout cela, en observant ponctuellement l'amour du prochain. Que faisons-nous encore? Nous dansons à nous essouffler, nous mangeons à nous crever, nous perdons notre argent au jeu, nous chatouillons nos oreilles par une harmonie pleine de mollesse, et qui, incitant à l'amour, fait naître d'autres chatouillements. Chienne de vie! direz-vous, non <26>pas de celle de Remusberg, mais de celle que vous passez dans des regrets et des souffrances.
Enfin voilà comme le monde est fait, et voilà comme l'on vit dans la petite contrée de Remusberg. J'avais oublié de vous dire que Maupertuis est si amoureux des nombres et des chiffres, qu'il préfère a plus b minus x à toute la société d'ici. Je ne sais si c'est qu'il aime tant l'algèbre, ou si notre monde l'ennuie. Du moins sais-je bien que le cygne de Padoue manque beaucoup à notre société, malgré le cygne de Cirey et celui de Mitau. Adieu, illustre invalide de l'empire de l'Amour. Guérissez-vous des blessures de Cythère, et faites du moins que nous profitions à Berlin de votre esprit, tandis que les p...... ne pourront profiter de votre corps.