30. AU COMTE ALGAROTTI.
Chrudim, 10 mai 1742.
Doux cygne, vous me dites très-éloquemment que vous voudriez que ma lettre fût écrite sur une matière incombustible pour immortaliser votre nom. Je m'étonne de cet excès de modestie chez un Italien qui s'est fait imprimer, et qui est affiché, comme bel esprit en vers et en prose, par toute l'Europe. Je pensais que vous me demanderiez d'être gravé en bronze pour vous être bien acquitté de la commission que je vous avais donnée. La chronique scandaleuse publie que vous devenez résident du roi de Pologne à Venise, et que vous avez obtenu cette faveur par la protection du père Guarini. Je vous félicite de ce nouvel emploi; apparemment c'est pour cette raison que vous n'avez pas osé parler à Pinti. M. l'Italien polonais, vous allez donc professer la politique dans votre terre natale, et faire deux fois par mois une utile gazette à votre roi du Nord des événements de l'Orient. Je me verrai encore dans le cas de vous dire avec cet illustre Romain : Cicéron philosophe salue Atticus homme d'État.
Je ne pense pas que l'on ose vous charger de quelque autre commission à Venise, sinon de complimenter l'Aurore, que vous voyez, pour ainsi dire, à la toilette, étant aux portes de l'Orient. Dites-lui, je vous prie, d'être un peu plus matinale et de nous bien chauffer, car nous en aurons grand besoin.
Je m'attends à vous voir bientôt briller dans les gazettes, et que votre nom fera oublier dans peu ceux des Tarouca, des chevalier Temple et des Ormea. Des soins qui n'ont pas le bonheur de vous plaire, j'entends des occupations militaires, m'empêchent de vous en dire davantage pour cette fois. Vous ne pouvez attendre de moi que de la guerre. C'est à vous autres ministres à négocier la paix; si vous la souhaitez tant, vous <43>n'avez qu'à vous y employer. Je vous admirerai, si vous y réussissez, et je n'en serai pas moins avec estime et amitié, etc.