49. DU COMTE ALGAROTTI.
Berlin, 11 septembre 1749.
Sire,
Je supplie Votre Majesté de me permettre de la féliciter sur son opéra de Coriolan, dont elle va voir l'effet beaucoup mieux encore que V. M. n'a pu faire à la lecture. Je l'ai entendu répéter deux fois; tout l'intérêt s'y trouve, malgré la brièveté des récitatifs, et V. M. a donné ses ordres pour la musique de façon que, au milieu de la variété la plus agréable, ce même intérêt y est augmenté au point que Coriolan va tirer presque autant de larmes des beaux yeux de Berlin qu'en a tiré Iphigénie le carnaval passé. V. M. a trouvé la plus sûre méthode d'avoir les plus beaux opéras du monde : c'est de les faire elle-même;
.....totamque infusa per artusMens agitat molem.72-a
Si après Coriolan, Sire, il est permis de parler de moi, je dirai à V. M. que M. Lieberkühn a voulu absolument que je commençasse à prendre les eaux d'Éger depuis quelques jours. Il regarde ce remède, tout comme V. M., comme la base fondamentale de ma guérison; il me semble même que je commence à en ressentir les bons effets. V. M. aura vu sans doute le specificum universale, pour ainsi dire, dans une lettre de M. Cataneo72-b dont M. le comte de Podewils m'a parlé. Quoique je sois aussi incrédule sur ces sortes de remèdes que je le suis sur le mouvement perpétuel et sur les quadratures du cercle qu'on nous donne tous les jours, je m'en vais pourtant écrire à Venise pour tâcher <65>de savoir au juste quelques particularités là-dessus. Mais en même temps, Sire, je regarde cette espèce de foi que je trouve maintenant en moi-même comme un symptôme de ma maladie.
Mon impression ne va pas aussi vite que je le voudrais, mais autant qu'il m'est possible de la faire aller. Il paraît que mon imprimeur ait pris la devise : Festina lente.
Oserais-je demander à V. M., dont les instants valent les années des autres,73-a quelle Épître, quelle ode, quel poëme elle a maintenant entre les mains? Nous consumons notre vie à tourner quelques phrases, à arranger des mots; V. M., dans ses heures perdues, peut créer les plus belles choses, qui feront à jamais les délices de ceux qui sauront ce que c'est que de marier la philosophie la plus utile à la plus agréable poésie.
72-a Virgile, Énéide, chant VI, v. 726 et 727.
72-b Chargé d'affaires du Roi à Venise.
73-a « Les instants de Frédéric valent des années. » C'est par ces mots que se termine le discours prononcé par Maupertuis, en 1747, à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du Roi. Voyez l'Histoire de l'Académie des sciences et belles-lettres. Année 1746. A Berlin, 1748, p. 10-16.