<130>dans un vers. Je suis cependant bien aise que vous soyez content. Mais, mon cher marquis, je me compare aux cygnes, dont la voix, selon les poëtes, n'est jamais plus mélodieuse que lorsqu'ils touchent à leur fin. Vous voyez comme mes ennemis me talonnent, et vous jugerez facilement ce qui doit arriver à l'ouverture de la campagne, où les grands coups se porteront. Il faut être philosophe ferré à glace pour soutenir tous les revers que j'essuie; mais si cela en vient à une catastrophe, je ne serai pas la dupe de ma mauvaise fortune, et je ferai finir la pièce avec l'action.
Il ne faut point, comme en Catilina,
Un acte entier de superrogatoire;
A l'endroit fixe où se finit l'histoire
Il faut finir, Apollon l'ordonna.
Ainsi je ris de ma fortune ingrate,
Et, sachant mieux limiter l'action,
Je crois devoir, selon l'occasion,
La terminer ainsi que Mithridate.
Tenez, mon cher marquis, nous autres poëtes, nous sommes insupportables, nous fourrons les vers partout. Je crois qu'enfin je donnerai les pensions en vers, et mettrai les traités en quatrains, comme Pibrac de malencontreuse mémoire. Je recherche tout ce qui occupe fortement l'esprit. Ce sont des moments gagnés qui me distraient de mes malheurs, et qui m'empêchent d'être triste. Que fait donc votre prophète? Il est devenu muet comme une carpe. C'est cependant à présent le temps de prophétiser, ou jamais. En vous écrivant ce misérable chiffon, j'ai été interrompu vingt-deux fois. Jugez l'agréable vie, et s'il n'y a pas de quoi enrager. Quelquefois la patience m'échappe; mais que faire? Il faut bien y revenir et prendre son parti. Ma carrière est dure, pénible et cruelle. Mais c'est le lot que j'ai tiré dans la grande loterie; il faut le garder et s'en contenter. Je crains de vous rendre mélancolique et hypocondre, si je continue sur ce ton. J'aime mieux finir en vous assurant que je vous aime de tout mon cœur, et que je vous estimerai jusqu'à mon dernier soupir. Adieu.
Écrivez-moi plus souvent.