<139>a de plus fâcheux dans les circonstances présentes, c'est que toutes les fautes deviennent capitales; cette seule idée me fait frémir. Représentez-vous le nombre de nos ennemis irrités de ma résistance, leurs efforts pernicieux et redoublés, et l'acharnement avec lequel ils voudraient m'accabler; voyez le destin de l'État ne tenir qu'à un cheveu. Rempli de ces idées, les belles espérances que vous donne votre prophète s'évanouiront comme la fumée, que le vent chasse et dissipe en un moment.
Pour me distraire de ces images tristes et lugubres, qui rendraient à la fin mélancolique et hypocondre jusqu'à Démocrite même, j'étudie, ou je fais de mauvais vers. Cette application me rend heureux pendant qu'elle dure; elle me fait illusion sur ma situation présente, et me procure ce que les médecins appellent de lucides intervalles; mais, aussitôt que le charme est dissipé, je retombe dans mes sombres rêveries, et mon mal, qui avait été suspendu, reprend plus de force et d'empire. A propos, votre Iroquois est en pleines fonctions; il peut même, dès aujourd'hui, sans passer pour homicide, tuer autant d'Autrichiens qu'il lui plaira. Vous me faites des compliments sur mes vers, qu'assurément ils ne méritent pas. Mon esprit n'est pas assez tranquille et je n'ai pas assez de temps pour les corriger; ce sont des esquisses, ou plutôt des avortons qu'un démon poétique me fait enfanter par force, que vous accueillez par un effet de votre indulgence, et qui vous paraissent moins mauvais quand vous les rapprochez de la situation affreuse où je me trouve. Écrivez-moi quand vous n'aurez rien de mieux à faire, et n'oubliez pas un pauvre philosophe qui peut-être, pour expier son incrédulité, est condamné à trouver son purgatoire dans ce monde. Adieu, mon cher marquis; je vous souhaite paix, santé et contentement, en vous embrassant de tout mon cœur.