<148>au maréchal Keith, car c'est celle contre laquelle on s'élève le plus.a Voici le vers où se trouve ce mot :
Allez, lâches chrétiens, que les feux éternels, etc.
Il faut, Sire, absolument ôter ce mot de chrétiens; c'est révolter toute l'Europe imbécile, et l'Europe éclairée n'en fait pas la centième partie. J'ai été fort embarrassé comment changer ce vers. J'ai d'abord voulu mettre : Allez, lâches mortels; mais ce mot de mortels rime avec éternels, et cela fait une faute, parce que l'hémistiche ne doit pas rimer avec la fin du vers. Celui de bigots et de dévots est ignoble. Enfin, j'ai mis le vers de cette manière :
Allez, mortels craintifs, que les feux éternels, etc.
J'aurais bien attendu la correction de V. M.; mais elle ne pouvait arriver à temps, et il m'aurait fallu suspendre l'édition. Si vous n'en êtes pas content, vous pouvez m'en envoyer une autre; je ferai faire un carton, c'est l'affaire d'une demi-heure. Mais je supplie V. M. d'ôter ce mot de chrétiens. Vous avez la probité, le courage, les lumières de Julien; mais, lorsqu'il traitait les chrétiens de lâches, les trois quarts de l'empire étaient encore païens, et il n'y a pas aujourd'hui un seul homme, depuis Lisbonne jusqu'à Archangel, qui ne se dise chrétien. Si moi, qui ai l'honneur d'être le grand vicaire de la secte de V. M., je trouve ce mot trop dur, jugez quel effet il doit produire sur l'esprit d'un catholique et d'un zélé protestant.
Je viens à votre ode sur les Germains. Foi d'épicurien, foi de philosophe, enfin, foi d'homme qui hait le mensonge, je n'ai jamais rien lu qui m'ait plu davantage. Vous avez fait des choses charmantes, des choses remplies de force et d'énergie; mais vous n'avez jamais rien écrit de mieux à mon sentiment. J'ai relu votre ouvrage cinq fois, et cinq fois je l'ai trouvé admirable. Tous les
a Les Œuvres du Philosophe de Sans-Souci furent mises à l'index le 12 mars 1760, et l'Épître au maréchal Keith, qui en fait partie, y fut remise spécialement le 27 novembre 1767. Voyez l'Index librorum prohibitorum, Romae MDCCCXLI, p. 274 (« Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Decr. S. Offic. 12. Martii 1760 ») et p. 213 (« Lettera al Maresciallo Keith, sopra il vano timoré della morte e lo spavento d'un' altra vita, del Filosofo di Sans-Souci; ex gallica editione, quae est ex adverso. Decr. 27. Novembris 1767. »)