<173>Je ne vous dis, Sire, tout ceci que pour vous montrer la nécessité de ne plus écrire lorsque vous croirez avoir quelque raison de n'être point connu. Il vous resterait deux moyens, mais vous ne pouvez pas les mettre en usage. Le premier serait d'affecter un style pesant; ce remède est pire que le mal. Le second serait d'écrire dans le goût de la dévotion; mais votre imagination vous découvrirait malgré vous. Ainsi il faut vous résoudre ou de ne plus écrire, ou d'être d'abord reconnu par les lecteurs qui ont du discernement.
Je remercie V. M. de la porcelaine. J'ai fait faire une belle armoire avec des carreaux de glaces pour l'enfermer. Mais n'allez pas penser que je me donne les airs de faire le petit-maître et le seigneur. Quand je dis glaces, j'entends des carreaux de vitres à huit gros la pièce; ils sont bien blancs, bien unis, et c'est comme il les faut à un homme de lettres. Un philosophe doit éviter la somptuosité de Sénèque et la rustique simplicité de Cratès et de Diogène. Épicure avait des maisons à la ville, à la campagne; elles étaient propres, mais modestes. Parmi les biens que la nature a accordés aux hommes, la médiocrité me paraît un des plus grands. Par la médiocrité j'entends un peu plus que le nécessaire honnête; c'est là tout ce qu'il faut à l'humanité pour la rendre heureuse. J'ai l'honneur, etc.
132. AU MARQUIS D'ARGENS.
(Schlettau, près de) Meissen. 1erjuin 1760.
Votre conjecture sur le style des auteurs vaut mieux, mon cher marquis, que celle sur la politique. Cependant il y aurait encore bien des choses à répondre. 1o Je crois que l'on pourrait plutôt reconnaître mon style à de certains solécismes qu'à la tournure des phrases. 2o Il y a bien des gens qui pensent et écrivent avec liberté; pourquoi ne voulez-vous pas que l'on soupçonne Rousseau de Genève, et tant d'autres auteurs que je ne connais pas, d'avoir