<180>si cela traîne jusqu'au mois de septembre, ce sera beaucoup. Tout l'art et toute l'habileté d'un général se trouvent courts dans la situation où je suis; il faudrait des événements surnaturels, et vous savez que de ceux-là il ne s'en fait plus. Enfin je me trouve dans la plus affreuse situation où un souverain puisse être; je me vois dépérir insensiblement, comme un hydropique qui compte de jour en jour les progrès de sa maladie, et qui, voyant les froids avant-coureurs de la mort lui enlever successivement ses membres, attend d'un moment à l'autre qu'elle lui porte le dernier coup au cœur. Votre porcelaine est partie, et doit être arrivée à Berlin. Servez-vous-en, si cela vous fait plaisir, et ne vous flattez pas trop par des espérances incertaines, qui pourraient vous jeter dans une étrange erreur. Adieu, mon cher; je vous embrasse.
137. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 22 juin 1760.
Sire,
Je viens de recevoir le beau et magnifique service de porcelaine que V. M. m'a fait l'honneur de m'envoyer. Le dessin en est charmant, la peinture très-fine, et les symboles du pyrrhonisme inventés avec goût. En voyant tant de belles choses, j'avouerai naturellement à V. M. que je les ai d'abord contemplées avec beaucoup de plaisir; mais bientôt à ce mouvement de plaisir en a succédé un de confusion, réfléchissant combien peu je méritais que V. M. me fît un aussi beau présent. Oui, Sire, plus les grâces dont vous m'honorez sont grandes, plus elles me font sentir que je ne les dois qu'à votre bonté. Vous en agissez comme le Créateur, qui de la plus vile argile se plaît quelquefois à forger un vase qu'elle rend précieux. Quelle gloire n'est-ce pas pour moi que vous daigniez me témoigner une bonté qui, pendant ma vie, me fait obtenir l'estime de tous les gens qui pensent, et qui, dans la postérité, m'assure une immortalité à laquelle je n'avais