<203>rebattez donc point, mon cher marquis, ces vieux propos de courtisans, et ne vous imaginez pas que les préjugés de l'amour-propre et de la vanité puissent m'en imposer ou me faire le moins du monde changer de sentiment. Ce n'est point un acte de faiblesse de terminer des jours malheureux; c'est une politique judicieuse, qui nous persuade que l'état le plus heureux pour nous est celui où personne ne peut nous nuire, ni troubler notre repos. Que de raisons, lorsqu'on a cinquante ans, de mépriser la vie! La perspective qui me reste est une vieillesse infirme et douloureuse, des chagrins, des regrets, des ignominies et des outrages à souffrir. En vérité, si vous entrez bien dans ma situation, vous devez moins condamner mes projets que vous ne le faites. J'ai perdu tous mes amis, mes plus chers parents, je suis malheureux de toutes les façons dont on peut l'être, je n'ai rien à espérer, je vois mes ennemis me traiter avec dérision, et leur orgueil se prépare me fouler aux pieds. Hélas! marquis,
Quand on a tout perdu, quand on n'a plus d'espoir,
La vie est un opprobre, et la mort un devoir.a
Je n'ai rien à ajouter à ceci. J'apprendrai à votre curiosité que nous passâmes l'Elbe avant-hier, que demain nous marchons vers Leipzig, où je compte être le 31, où j'espère que nous nous battrons, et d'où vous recevrez de nos nouvelles, telles que les événements les produiront. Adieu, mon cher marquis; ne m'oubliez pas, et soyez assuré de mon estime.
153. AU MÊME.
Torgau, 5 novembre 1760.
Je reçois aujourd'hui, 5 de novembre, une lettre que vous m'écrivez, mon cher marquis, du 25 septembre. Vous voyez que notre correspondance est bien réglée. Dieu, que d'événements se
a Voyez ci-dessus, p. 92.