<212>m'oubliez pas, et soyez tranquille spectateur de ce qu'il plaira à la fatalité et à la brutale rage de nos ennemis d'ordonner de nous.
160. AU MÊME.
Meissen, 3 décembre 1760.
Voici le moment, mon cher marquis, que nous rentrerons effectivement dans nos quartiers. J'attendrai encore jusqu'au huitième, que je me rendrai à Leipzig. Voilà le quart d'heure de Rabelais qui sonne, où il faut juger. Je vous envoie un chasseur, le porteur de cette lettre, qui aura le soin de vous conduire, et auquel je vous ai recommandé comme Crésus ou un financier général pourrait recommander son argent. N'arrivez pas avant le 10, pour que j'aie le temps moi-même de vous procurer toutes les commodités dans votre habitation. Je ne puis pas vous nier que je me fais un sensible plaisir de vous revoir et de vous entretenir sur une infinité de sujets. Je serai comme un chartreux à qui son supérieur accorde la liberté de parler. J'ai vécu dans le silence et dans la retraite. Attendez-vous à une inondation de caquet, et à ce que peut produire l'intempérance d'une langue longtemps enchaînée par la douleur et par le silence de la solitude. Adieu, mon cher marquis; j'espère que dans huit jours je pourrai vous voir face à face, jouir de votre vision béatifique, et vous exprimer mes sentiments sans être obligé de vous les peindre. Vous n'y trouverez que de l'estime et de l'amitié pour votre personne. Encore une fois, adieu; je vous embrasse.