<285>S'il leur prenait fantaisie aujourd'hui de faire la paix, qu'auraient-ils à donner en échange aux Anglais? Je ne vois point aucun moyen pour eux d'en venir à un accommodement, que la guerre n'ait ou augmenté leurs pertes, ou amélioré leur état présent.

On a découvert que l'envoyé de Danemarka savait trois jours plus tôt la mort de l'impératrice de Russie qu'on ne l'a apprise par tous les courriers qui sont arrivés ici, dont le premier ne vint que le mardi matin; et, le dimanche auparavant, l'envoyé dit à quelques personnes : « Il est mort une des principales têtes couronnées de l'Europe. » On eut beau le presser, il ne voulut pas s'expliquer davantage. J'ai l'honneur, etc.

214. AU MARQUIS D'ARGENS.

Janvier 1762.

Il est vrai, mon cher marquis, que tous les événements, favorables ou fâcheux, se succèdent alternativement. Nous en avons eu tant de malheureux, de cruels et d'affreux, qu'il fallait bien que quelque autre chose vînt y apporter quelque adoucissement. Cependant reste à voir jusqu'où nous pourrons porter nos espérances. J'ai été si malheureux dans toute cette guerre, et par la plume, et par l'épée, que cela m'a donné une grande méfiance dans toutes les occasions, de sorte que je n'en crois plus que mes oreilles et mes yeux uniquement. Je pourrais composer un grand chapitre des façons différentes dont les politiques s'égarent dans leurs conjectures, où les exemples ne me manqueraient pas, et cela, pour s'être laissé emporter par leur imagination et avoir précipité leur jugement. Voilà ce qui me rend retenu et circonspect. Oh! que l'expérience est une belle chose! Moi, qui étais étourdi dans ma jeunesse comme un jeune cheval qui bondit sans frein dans une prairie, me voilà devenu lent comme le vieux


a Le chambellan Jean-Henri comte d'Ahlefeldt.