<79>presque totalement ruinée. Tout ce que j'ai pu rassembler de mes débris monte à trente-deux mille hommes. Je vais me mettre sur leur chemin, me faire égorger, ou sauver la capitale. Ce n'est pas, je pense, manquer de constance. Je ne saurais répondre de l'événement. Si j'avais plus d'une vie, je la sacrifierais pour ma patrie; mais, si ce coup me manque, je me crois quitte envers elle, et je pense qu'il me sera permis de songer à moi-même. Il y a des bornes à tout. Je soutiens mon infortune, sans qu'elle m'abatte le courage. Mais je suis très-résolu, après ce coup-ci, s'il me manque, de me faire une issue pour ne plus être désormais le jouet d'aucune sorte de hasard.b Je ne sais ni où vous êtes, ni ce que vous deviendrez; mais, si j'ai un conseil à vous donner, attendez à Potsdam ou Brandebourg l'issue de l'événement, et, quoi qu'il arrive, souvenez-vous d'un ami qui vous aime et estimera jusqu'au dernier soupir. Adieu.

Je suis ici sur la terre du général-major Finck,a frère du ministre, que les Cosaques ont pillée; mais le dommage ne passe pas quelques centaines d'écus. Adieu, mon cher; étudiez Zénon dans ces temps critiques, et laissez reposer Épicure.

65. DU MARQUIS D'ARGENS.

Le 4 (sic) août 1759.



Sire,

Il ne vous arrive que ce qui est arrivé à César, à Turenne, et plusieurs fois au grand Condé. Si vous prenez sur vous de vous posséder, de soigner votre santé, et de faire usage des ressources que vos lumières vous fourniront, tout sera bientôt réparé. Je meurs de douleur de ne pas être auprès de vous pour pouvoir vous dire sans cesse ce que j'ai l'honneur de vous écrire. Au nom


b Voyez t. XII, p. 47, 56-63, 115, 116, etc.

a Voyez t. V, p. 104.