48. DU MARQUIS D'ARGENS.
Hambourg, 22 février 1739.
Sire,
Après avoir rendu à Votre Majesté un million de grâces de la bonté qu'elle a eue de permettre que je pusse rétablir ma santé et prendre du temps pour me remettre d'une maladie cent fois plus dangereuse et plus longue que celle que j'ai faite à Breslau, j'oserai lui dire que je suis beaucoup plus courageux qu'elle ne le pense, et que je pars dans cinq jours pour Berlin, presque privé de l'usage d'une jambe. Si les bains d'herbes et l'été ne me fortifient pas les nerfs, me voilà appuyé tristement sur une béquille pour le reste de mes jours. Du moins, si j'étais estropié pour le service de V. M., je m'en consolerais; mais devenir perclus dans un lit et dans un fauteuil, cela est bien fâcheux. Cependant une chose me console : c'est que, depuis trois ans, vous êtes si accoutumé à voir des boiteux, des borgnes, des manchots, enfin de toutes sortes d'estropiés, que vous ne trouverez pas mauvais que je paraisse devant vous la hanche gauche plus haute que la droite, et une jambe à demi pliée. Je voudrais avoir l'autre en aussi mauvais état, et vous voir, une fois paisible, jouir tranquillement à Potsdam de la gloire immortelle que vous vous êtes acquise. J'espère que l'automne vous rendra à vos peuples, heureux et jouissant de la plus parfaite santé. Voilà de nouveaux alliés qui vont faire en Italie une puissante diversion en votre faveur, et jamais le roi d'Espagne ne pouvait mourir plus à propos. Encore un effort, Sire, cette campagne, et tout est gagné; vous pourrez dire alors comme disait David : « J'ai vu les nations frémir, s'élever contre moi, et former des projets pleins de vanité; elles ont été dissipées comme le vent dissipe les nuages, et leurs espérances n'ont été que de vaines illusions. »62-a A propos de poëte hébreu, je prends la liberté d'envoyer à V. M. des vers sur le cardinal Cotin, qu'on assure être de Fréron; peut-être <56>qu'elle ne les a pas encore vus, et je crois qu'ils ne lui paraîtront pas mauvais. J'ai l'honneur, etc.
62-a Ce passage n'est proprement pas une citation, mais seulement une réminiscence d'idées et d'expressions des psaumes de David. Voyez p. e. les psaumes II et XVIII.