162. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 23 mars 1761.
Sire,
Je commence par remercier Votre Majesté des bontés dont elle a daigné m'honorer,240-a et toutes les lettres que j'ai l'honneur de lui <214>écrire devraient commencer de même, car quel est l'instant de ma vie qui ne soit marqué par quelque grâce qu'elle m'a faite? Vous m'avez mis dans l'impossibilité de jamais mériter vos bienfaits, et il ne me reste, pour m'en acquitter, que la reconnaissance; la mienne, Sire, sera éternelle.
J'ai été à Sans-Souci. Le château est dans un très-bon ordre, et le jardin aussi. Quant à la galerie, c'est sans contredit, après Saint-Pierre de Rome, la plus belle chose qu'il y ait au monde. Ma surprise a été extrême, et je n'ai jamais cru que cette galerie fît la moitié de l'effet qu'elle produit; elle est entièrement achevée.
J'attends, Sire, avec l'impatience que vous me connaissez, la nouvelle de la prise de Cassel, et je me flatte de l'apprendre de V. M.; j'ai déjà préparé mes arrangements pour la fête que je donne à cinquante invalides.
V. M. n'oubliera pas, à ce que j'espère, la tragédie de Malagrida.240-b Je lis actuellement trois volumes composés de différentes pièces que le roi de Portugal a fait publier; cela fait frémir d'horreur. Je suis tenté de faire deux sermons sous le nom d'un quaker, pour montrer combien une religion qui n'admet point de prêtres est heureuse. Ces temps malheureux sont également infortunés, de quelques côtés qu'on les envisage, soit qu'on les considère comme produisant les guerres les plus cruelles, soit qu'on examine les ressorts politiques qu'on y fait jouer : ceux de la cour de Rome sont dignes de l'enfer. Il paraît, par les pièces que la cour de Portugal a rendues publiques, que le pape d'aujourd'hui est un grand sot, et que son ministre, le cardinal Torregiani, est un des plus méchants hommes qu'il y ait en Europe. Comme à la paix vous aurez indubitablement des affaires à démêler avec lui, j'espère que vous lui ferez sentir les égards qu'un prêtre à calotte rouge doit à des rois. Vous êtes fait également pour venger vos confrères, comme pour les combattre et pour les vaincre.
Voici une Lettre écrite, à ce qu'il paraît, par un officier français contre l'Histoire universelle de Voltaire. Je crois que vous trouverez que les critiques qui regardent le militaire sont assez <215>bonnes; les autres me paraissent ou fausses, ou bien faibles. J'ai l'honneur, etc.
240-a Allusion au séjour que le marquis d'Argens avait fait auprès du Roi pendant l'hiver. Voyez ci-dessus, p. 236 et 238.
240-b Voyez ci-dessus, p. 71, 72 et 162.