165. AU MARQUIS D'ARGENS.
(Meissen) avril 1761.
Grâces, marquis, de votre missive. Je n'ai aujourd'hui rien de sinistre à vous apprendre; j'ai au contraire des sujets de consolation et des vues d'espérances à vous communiquer. Broglie vient de repasser le Main; il n'a laissé que deux mille hommes à Cassel, de sorte que cet acte de modération annonce de nouveau les dispositions pacifiques de la France. Les Autrichiens continuent à avoir des appréhensions fondées pour leurs possessions d'Italie, la révolte en Hongrie continue, la cour commence à prendre des sentiments pacifiques, et il y a toute apparence que cette cruelle <218>et funeste guerre tend à sa fin. Cela relève un peu mes espérances, et me donne au moins une gaieté passagère; c'est autant de gagné sur l'ennemi. Je m'occupe ici à charger ma mémoire pour décharger mon âne, et alléger le fardeau littéraire dont il a l'honneur d'être le dépositaire. Je suis sur le point d'achever le de Thou;245-a ce livre est très-bien écrit, et j'en suis très-content.
Le critique de Voltaire a, ce me semble, assez bien rencontré; il est cependant trop sévère. Quoi qu'on dise, si l'Histoire de Voltaire n'est pas instructive, elle est au moins jolie; c'est une gentillesse, une miniature faite par un Corrége, et certes personne de nous ne voudrait que cet ouvrage fût supprimé. Je compte dans peu de vous donner encore quelques bonnes nouvelles de notre expédition du Voigtland, dont j'attends à tout moment les rapports. Adieu, mon cher marquis; dormez en repos, rien ne troublera votre sécurité de quelques semaines, et alors comme alors. Je vous embrasse; adieu.
245-a Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou, depuis 1543 jusqu'en 1607, traduite sur l'édition latine de Londres. Londres (Paris), 1734, seize volumes in-4. Le seizième volume ne renferme que la Table de matières.