278. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 31 octobre 1762.
Sire,
J'allais écrire à Votre Majesté pour la remercier des bontés qu'elle m'a fait l'honneur de me témoigner dans sa dernière lettre, lorsque j'apprends la victoire éclatante que le prince Henri, digne frère de Frédéric le Grand, vient de remporter sur vos ennemis.416-a Permettez-moi, Sire, de vous faire à ce sujet le plus sincère et le plus agréable compliment, auquel j'espère faire succéder bientôt celui que je vous écrirai sur la prise de Dresde. Sans être grand calculateur, je vois vingt mille Autrichiens de moins dans quinze jours, dix mille pris dans Schweidnitz, six mille dans la bataille que le prince Henri vient de gagner, et quatre mille tués ou blessés sur le champ de bataille. Je crois que vous serez pourtant <371>content de cette campagne. La Fortune n'est plus une déesse esclave des caprices des Autrichiens; elle s'est affranchie du joug sous lequel ils semblaient l'avoir soumise. Que dira Bute et toute sa clique, qui voulait si lâchement nous abandonner?
J'aurais, Sire, encore bien des choses à dire à V. M.; mais dans ce moment ma cuisinière entre pour me demander si je ne donnerai pas ce soir une petite fête, et ce que je veux pour mon souper, ayant, dès que j'ai entendu les cornets des postillons, fait prier quelques-uns de nos académiciens à venir philosophiquement célébrer la gloire du prince Henri et des armes prussiennes. Nous ne nous couronnerons point de roses, parce qu'il n'y en a pas dans cette saison; nous ne boirons point de vin de Falerne, parce que nos marchands n'en vendent point; mais nous verserons quelques bonnes bouteilles d'excellent Pontac, qui seront bues en vous souhaitant, ainsi qu'au prince Henri, toute sorte de bonheur et de prospérité, car pour de la gloire, vous en regorgez tous les deux, et ce serait vouloir porter de l'eau à la rivière. J'ai l'honneur, etc.
416-a A Freyberg, le 29 octobre 1762. Voyez t. V, p. 236-238.