<113>Moravie. Ce qu'il y avait de pire, c'était que le Roi ne pouvait faire aucun fond sur la fidélité des Saxons, et il devait s'attendre qu'ils l'abandonneraient à l'approche de l'ennemi. Un beau jour, lorsqu'on s'y attendait le moins, tous les Saxons abandonnèrent leurs quartiers, et se jetèrent avec précipitation sur ceux que les Prussiens occupaient : un millier de hussards autrichiens leur avait donné une terreur panique; on leur procura des quartiers, et Brünn fut serré de plus près.

Le commandant de cette place était un homme intelligent. Il envoyait des gens déguisés pour mettre le feu aux villages que les troupes occupaient : toutes les nuits il y eut des incendies; on compta plus de seize bourgs, villages ou hameaux qui périrent par les flammes. Un jour, trois mille hommes de la garnison de Brünn attaquèrent le régiment de Truchsess dans le village de Lösch : ce régiment se défendit pendant cinq heures avec une constance et une valeur admirable. Le village fut brûlé; mais les ennemis furent chassés sans avoir remporté le moindre avantage. Truchsess, Varennea et quelques officiers y furent blessés en se couvrant de gloire. Enfin les efforts qu'on avait faits pour dégager M. de Ségur, attiraient naturellement les Autrichiens en Moravie. Le duc de Lorraine allait se mettre en marche pour dégager Brünn : il fallait choisir un lieu d'assemblée pour les troupes, et qui fût en même temps un camp avantageux. Ces propriétés se trouvaient réunies au terrain qui environne la ville de Pohrlitz. Le Roi communiqua au chevalier de Saxe son dessein d'attendre l'ennemi dans cette position, ce qui pouvait s'exécuter avec d'autant plus de sûreté, que le Roi avait été joint par six bataillons et trente escadrons de renfort de ses troupes. Le chevalier donna une réponse ambiguë, qui préparait dès lors aux excuses de sa désobéissance : la raison la plus spécieuse qu'il alléguait, se fondait sur la faiblesse de ses troupes, qu'il ne disait monter qu'à huit mille combattants. Le peu de fond qu'on pouvait faire sur ces troupes saxonnes, fit faire des réflexions à ce prince sur la situation où il se trouvait. Ses propres troupes ne consistaient qu'en vingt-six mille hommes; c'étaient les seules sur lesquelles il pût compter, et c'était trop peu pour faire tête à l'armée du duc de Lorraine. Après tout, pourquoi s'opiniâtrer à prendre cette Moravie, pour laquelle le roi de Pologne, qui devait l'avoir, témoignait tant d'indifférence? Le seul parti à prendre, c'était de se joindre aux troupes prussiennes qui étaient en Bohême; et pour couvrir Olmütz et la Haute-Silésie, on pouvait se servir de l'armée du prince d'Anhalt, qui devenait inutile auprès de Brandebourg. Il reçut donc incessamment l'ordre de la partager : d'en envoyer une partie à Chrudim en Bohême, et de mener dix-sept bataillons et trente-cinq escadrons dans la Haute-Silésie, où il serait joint par son fils, le prince Didier,a avec les troupes que le Roi laisserait dans ces environs.

Malgré toutes ces dispositions, le Roi se trouvait dans un pas scabreux : il avait tout lieu de se défier des Saxons, mais leur mauvaise foi n'était pas assez manifeste. M. de Broglie le tira de cet embarras, en demandant les troupes saxonnes, pour le renforcer, à ce qu'il disait, contre le prince de Lorraine, qui voulait l'attaquer dans le temps que ce prince prenait le chemin de la Moravie avec son armée. Le Roi fit semblant d'ajouter foi au faux


a Frédéric-Sébastien-Wunibald comte Truchsess-Waldbourg, alors général-major, et chef du régiment d'infanterie no 13. Frédéric-Guillaume marquis de Varenne était lieutenant-colonel dans ce régiment; la même année il devint colonel et commandeur du régiment d'infanterie no 26; il mourut pendant la seconde guerre de Silésie, en 1744, à Prague.

a Ce prince, que l'Auteur nomme quelques lignes plus bas Thierry, était le troisième fils du célèbre prince régnant Léopold d'Anhalt-Dessau. Il était alors lieutenant-général et chef du régiment d'infanterie no 10; il était né le 2 août 1702.