<22>Cette princesse avait des qualités qui la rendaient digne du rang qu'elle occupait : elle avait de l'élévation dans l'âme, de la fermeté dans l'esprit; libérale dans ses récompenses, sévère dans ses châtiments, bonne par tempérament, voluptueuse sans désordre.
Elle avait fait duc de Courlande Biron, son favori et son ministre. Les gentilshommes ses compatriotes lui disputaient jusqu'à l'ancienneté de sa noblesse. Il était le seul qui eût un ascendant marqué sur l'esprit de l'Impératrice; il était, de son naturel, vain, grossier et cruel, mais ferme dans les affaires, ne se refusant point aux entreprises les plus vastes. Son ambition voulait porter le nom de sa maîtresse jusques au bout du monde; d'ailleurs aussi avare pour amasser, que prodigue en ses dépenses; ayant quelques qualités utiles, sans en avoir de bonnes ni d'agréables.
L'expérience avait formé sous le règne de Pierre Ier un homme fait pour soutenir le poids du gouvernement sous les successeurs de ce prince. C'était le comte d'Ostermann; il conduisit en pilote habile, dans l'orage des révolutions, le gouvernail de l'État d'une main toujours sûre. Il était originaire du comté de la Mark en Westphalie, d'une extraction obscure; mais les talents sont distribués par la nature sans égard aux généalogies. Ce ministre connaissait la Moscovie, comme Verney, le corps humain; circonspect ou hardi, selon que le demandaient les circonstances, et renonçant aux intrigues de la cour pour se conserver la direction des affaires. On pouvait compter, outre le comte Ostermann, le comte Löwenwolde et le vieux comte Golowkin du nombre des ministres dont la Russie pouvait tirer parti.
Le comte de Münnich, qui du service de Saxe avait passé à celui de Pierre Ier, était à la tête de l'armée russe. C'était le prince Eugène des Moscovites; il avait les vertus et les vices des grands généraux : habile, entreprenant, heureux; mais fier, superbe, ambitieux, et quelquefois trop despotique, et sacrifiant la vie de ses soldats à sa réputation. Lacy, Keith, Lowendal, et d'autres habiles généraux, se formaient dans son école. Le gouvernement entretenait alors dix mille hommes de gardes; cent bataillons, qui faisaient le nombre de soixante mille hommes; vingt mille dragons; deux mille cuirassiers; ce qui montait au nombre de