« <58>temps. » « Il ne dépend que de la Reine, reprit le Roi, d'accepter les offres qui lui sont faites. » Cela rendit le marquis rêveur; il se recueillit cependant, et, reprenant la parole d'un ton de voix et d'un air ironiques, il dit : « Sire, vos troupes sont belles, j'en conviens; les nôtres n'ont pas cette apparence, mais elles ont vu le loup; pensez, je vous en conjure, à ce que vous allez entreprendre. » Le Roi s'impatienta et reprit avec vivacité : « Vous trouvez que mes troupes sont belles, et je vous ferai convenir qu'elles sont bonnes. » Le marquis fit encore des instances pour qu'on différât l'exécution de ce projet : le Roi lui fit comprendre qu'il était trop tard, et que le Rubicon était passé.

Tout le projet sur la Silésie étant éclaté, une entreprise aussi hardie causa une effervescence singulière dans l'esprit du public. Les âmes faibles et timorées présageaient la chute de l'État; d'autres croyaient que le prince abandonnait tout au hasard, et qu'il ne prît pour modèle Charles XII. Le militaire espérait de la fortune, et prévoyait de l'avancement. Les frondeurs, dont il se trouve dans tout pays, enviaient à l'État les accroissements dont il était susceptible. Le prince d'Anhalt était furieux de ce qu'il n'avait pas conçu ce plan, et qu'il n'était pas le premier mobile de l'exécution; il prophétisait, comme Jonas, des malheurs qui n'arrivèrent ni à Ninive ni à la Prusse. Ce prince regardait l'armée impériale comme son berceau; il avait des obligations à Charles VI qui avait donné un brevet de princesse à sa femme, qui était la fille d'un apothicaire, et il craignait avec cela l'agrandissement du Roi, qui réduisait un voisin comme le prince d'Anhalt au néant. Ces sujets de mécontentement firent qu'il semait la défiance et l'épouvante dans tous les esprits; il aurait voulu intimider le Roi lui-même, si cela avait été faisable; mais le parti était trop bien pris, et les choses, poussées trop en avant, pour pouvoir reculer. Cependant, pour prévenir le mauvais effet que des propos d'un grand général comme le prince d'Anhalt pouvaient faire sur les officiers, le Roi jugea à propos d'assembler avant son départ les officiers de la garnison de Berlin, et de leur parler en ces termes : « J'entreprends une guerre, messieurs, dans laquelle je n'ai d'autres alliés que votre valeur et votre bonne volonté : ma cause est juste, et mes ressources sont dans la for- »