8. A MYLORD MARISCHAL.
(Février 1756.)
Je vous vois quitter à regret une place, mon cher mylord, qui sera toujours mal remplie par votre successeur. Vous pouvez choisir tel endroit pour votre demeure qu'il vous plaira, sûr que j'y donnerai les mains toutes fois et quantes l'endroit se trouvera à ma disposition. Je trouve heureux ceux qui, à un certain âge, peuvent se retirer des affaires, et ce bonheur me paraît d'autant plus grand, que je crains fort de n'en jouir jamais. Des projets, des soins, des embarras, voilà tout ce que fournissent les grandeurs humaines. Quand on a vu quelquefois cette lanterne magique, on en a tout son soûl; mais malheur au Savoyard qui la porte! Toutes nos peines n'aboutissent souvent qu'à vouloir rendre des gens heureux, qui ne veulent point l'être, à régler l'incertitude de l'avenir, qui renverse nos projets. Quand tout cela s'est fait pendant un nombre d'années, voici le moment où il faut décamper, et, calcul fait, on trouve qu'on a vécu pour les autres, et point pour soi-même. Mais chaque machine est faite pour un certain usage, la pendule pour marquer les heures, le tournebroche pour rôtir, les meules d'un moulin pour tourner. Tournons donc, puisque tel est mon lot; mais soyez persuadé que, pendant que je tourne malgré moi, personne ne s'intéresse plus à votre repos philosophique que votre ami de tous les temps et de toutes les situations où vous vous trouverez. Adieu.