9. AU MÊME.
(Potsdam) ce 17 (mars 1756).
La poste d'aujourd'hui, mon cher mylord, m'a apporté deux de vos lettres. Dans la première, vous me dites tant de choses obligeantes, qu'elles ne peuvent qu'augmenter l'amitié et la recon<264>naissance que j'ai pour vous. Je vois ensuite qu'il faudra absolument devenir mauvais économe pour avoir du crédit; mais je suis encore incertain si le jeu vaudra la chandelle.
Vous avez fait une alliance suisse là-bas, qui fera grand plaisir à MM. les Neufchâtelois. Pour moi, mon cher mylord, je ne fais que des misères politiques; j'essaye d'accorder des gens peu accordables. Je voudrais qu'on ne se détruisît pas en Europe pour savoir qui péchera des merluches,295-a et qu'on prît moins à cœur la possession de la montagne d'Apalache295-a et des déserts de la Cayenne,295-a où ni vous ni moi n'irons jamais, et qui rapporteront très-peu aux heureux qui s'assureront cette possession. J'aurais de quoi ajouter bien des autres, si je voulais, à la suite de ceux-ci; mais je les supprime par prudence, sentant l'impossibilité qu'il y a à rendre le monde raisonnable, et que le plus sûr parti est de laisser aller le monde comme il va.
Je vous fais mille remercîments des peines que vous vous êtes données pour me commander un tableau chez Pompeo. Je serais fort tenté d'en avoir deux de Mengs et un de Costanzi. Ces deux de Mengs pourraient être l'Éducation d'Adonis et celui295-b de Tirésias. Il pourrait les rendre pendants, et celui de Costanzi295-c pourrait faire le pendant de celui que fait Pompeo.295-d Il faudrait accorder des prix, mais il est inouï qu'on ait donné des arrhes sur un tableau. On avance aux orfèvres quand on commande des vaisselles d'argent, mais jamais aux peintres. Je vous laisse le maître de régler les prix et les accords comme vous le jugerez à propos, vous assurant, mon cher mylord, que vous n'avez aucun meilleur ami que moi.
295-a Voyez t. IV, p. 16-18, t. VI, p. 10, et t. XVIII, p. 127.
295-b Le Roi veut dire le Jugement de Tirésias.
295-c Apollon poursuivant Daphné.
295-d Le pendant du tableau du chevalier Placido Costanzi, peint par le chevalier Pompeo Battoni, représente les Noces de Psyché. Voyez la Description de tout l'intérieur des deux palais de Sans-Souci, de ceux de Potsdam et de Charlottenbourg, par Matthieu Oesterreich. Potsdam, 1773, in-4, p. 41.