2.
(Motiers-Travers, 30) octobre 1762.
Sire,
Vous êtes mon protecteur et mon bienfaiteur, et je porte un cœur fait pour la reconnaissance; je viens m'acquitter avec vous, si je puis.
<300>Vous voulez me donner du pain;333-b n'y a-t-il aucun de vos sujets qui en manque? Otez de devant mes yeux cette épée qui m'éblouit et me blesse; elle n'a que trop fait son devoir, et le sceptre est abandonné. La carrière est grande pour les rois de votre étoffe, et vous êtes encore loin du terme; cependant le temps presse, et il ne vous reste pas un moment à perdre pour aller au bout.334-a
Puissé-je voir Frédéric le juste et le redouté couvrir ses États d'un peuple nombreux dont il soit le père, et J.-J. Rousseau, l'ennemi des rois, ira mourir au pied de son trône.
333-b Voyez ci-dessus, p. 322.
334-a Dans le brouillon de cette lettre, il y avait à la place cette phrase : « Sondez bien votre cœur, ô Frédéric! Vous convient-il de mourir sans avoir été le plus grand des hommes? »; et à la fin de la lettre cette autre phrase : « Voilà, Sire, ce que j'avais à vous dire; il est donné à peu de rois de l'entendre, et il n'est donné à aucun de l'entendre deux fois. » (Note de l'édition des Œuvres de J.-J. Rousseau publiée en 1797.)