<104>fort, qu'il ne faudrait pas moins, pour nous en faire douter, qu'une démonstration qui nous prouvât qu'il implique contradiction que nous soyons libres. Or certainement il n'y a point de telles démonstrations.
Joignez à toutes ces raisons, qui détruisent les objections des fatalistes, qu'ils sont obligés eux-mêmes de démentir à tout moment leur opinion par leur conduite; car on aura beau faire les raisonnements les plus spécieux contre notre liberté, nous nous conduirons toujours comme si nous étions libres, tant le sentiment intérieur de notre liberté est profondément gravé dans notre âme, et tant il a, malgré nos préjugés, d'influence sur nos actions.
Forcées dans ce retranchement, les personnes qui nient la liberté continuent, et disent : Tout ce dont ce sentiment intérieur, dont vous faites tant de bruit, nous assure, c'est que les mouvements de notre corps et les pensées de notre esprit obéissent à notre volonté; mais cette volonté elle-même est toujours déterminée nécessairement par les choses que notre entendement juge être les meilleures, de même qu'une balance est toujours emportée par le plus grand poids. Voici la façon dont les chaînons de notre chaîne tiennent les uns aux autres.
Les idées, tant de sensation que de réflexion, se présentent à vous, soit que vous le vouliez, ou que vous ne le vouliez pas; car vous ne formez pas vos idées vous-même. Or, quand deux idées se présentent à votre entendement, comme, par exemple, l'idée de vous coucher et l'idée de vous promener, il faut absolument que vous vouliez l'une de ces deux choses, ou que vous ne vouliez ni l'une ni l'autre. Vous n'êtes donc pas libre quant à l'acte même de vouloir.
De plus, il est certain que si vous choisissez, vous vous déciderez sûrement pour votre lit ou pour la promenade, selon que votre entendement jugera que l'une ou l'autre de ces deux choses vous est utile et convenable; or, votre entendement ne peut juger bon et convenable que ce qui lui paraît tel. Il y a toujours des différences dans les choses, et ces différences déterminent nécessairement votre jugement; car il vous serait impossible de choisir entre deux choses indiscernables, s'il y en avait. Donc toutes vos