<154>mains, il se peut bien qu'il fasse quelque bonne action, mais sa vie sera toujours souillée par ses crimes.

Il est vrai que les histoires sont en partie les archives de la méchanceté des hommes; mais, en offrant le poison, elles offrent aussi l'antidote. Nous voyons dans l'histoire quantité de méchants princes, des tyrans, des monstres, et nous les voyons tous haïs de leurs peuples, détestés de leurs voisins, et en abomination dans tout l'univers. Leur nom seul devient une injure,a et c'est un opprobre à la réputation des vivants que d'être apostrophés du nom de ces morts.

Peu de personnes sont insensibles à leur réputation; quelque méchants qu'ils soient, ils ne veulent pas qu'on les prenne pour tels; et, malgré qu'on en ait, ils veulent être cités comme des exemples de vertu et de probité, et d'hommes héroïques. Je crois que, avec de semblables dispositions, la lecture de l'histoire, et les monuments qu'elle nous laisse de la mauvaise réputation de ces monstres que la nature a produits, ne peut que faire un effet avantageux sur l'esprit des princes qui les lisent; car, en regardant les vices comme des actions qui dégradent et qui ternissent la réputation, le plaisir de faire du bien doit paraître si pur, qu'il n'est pas possible de n'y être point sensible.

Un homme ambitieux ne cherche point dans l'histoire l'exemple d'un ambitieux qui a été détesté, et quiconque lira la fin tragique de César apprendra à redouter les suites de la tyrannie. De plus, les hommes se cachent, autant qu'ils peuvent, la noirceur et la méchanceté de leur cœur. Ils agissent indépendamment des exemples;b et d'ailleurs, si un scélérat veut autoriser ses crimes par des exemples, il n'a pas besoin (ceci soit dit à l'honneur de notre siècle) de remonter jusqu'à l'origine du monde pour en trouver. Le genre humain corrompu en présente tous les jours de plus récents, et qui par là même en ont plus de force. Enfin il n'y a qu'à être homme pour être en état de juger de la mé-


a Agrippine dit à Néron, dans le Britannicus de Racine, acte V, scène VI :
     

Et ton nom paraîtra, dans la race future,
Aux plus cruels tyrans une cruelle injure.

b Et n'ont d'autre but que celui d'assouvir leurs passions déréglées; d'ailleurs, etc. (Variante des Œuvres posthumes, t. X, p. 122.)