77. AU MÊME.
Berlin, 3 février 1739.a
Mon cher ami, vous recevez mes ouvrages avec trop d'indulgence. Une prévention trop favorable à l'auteur vous fait excuser leur faiblesse et les fautes dont ils fourmillent.
Je suis comme le Prométhée de la Fable; je dérobe quelquefois de votre feu divin, dont j'anime mes faibles productions. Mais la différence qu'il y a entre cette fable et la vérité, c'est que l'âme de Voltaire, beaucoup plus grande et plus magnanime que celle du roi des dieux, ne me condamne point au supplice que souffrit l'auteur du céleste larcin. Ma santé, languissante encore, m'empêche d'exécuter les ouvrages que je roulais dans ma tête; et le médecin, plus cruel que la maladie même, me condamne à prendre journellement de l'exercice, temps que je suis obligé de prendre sur mes heures d'étude.
Ces charlatans veulent m'interdire de m'instruire; bientôt ils voudront que je ne pense plus. Mais, tout bien compté, j'aime mieux être malade de corps que d'esprit.b Malheureusement l'esprit ne semble être que l'accessoire du corps; il est dérangé en même temps que l'organisation de notre machine, et la matière ne saurait souffrir sans que l'esprit ne s'en ressente également. Cette union si étroite, cette liaison intime est, ce me semble, une très-forte preuve du sentiment de Locke. Ce qui pense en nous est assurément un effet ou un résultat de la mécanique de notre machine animée. Tout homme sensé, tout homme qui n'est point imbu de prévention ou d'amour-propre, doit en convenir.
Pour vous rendre compte de mes occupations, je vous dirai que j'ai fait quelques progrès en physique. J'ai vu toutes les expériences de la pompe pneumatique, et j'en ai indiqué deux nouvelles qui sont : 1o de mettre une montre ouverte dans la pompe, pour voir si son mouvement sera accéléré ou retardé, s'il restera
a Berlin, 2 février 1739. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 50.)
b J'aime mieux être malade de corps que d'être perclus d'esprit. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 44)