84. DE VOLTAIRE.
Cirey, 15 avril 1739.
Monseigneur, en attendant votre Nisus et Euryale, Votre Altesse Royale essaye toujours très-bien ses forces dans ses nobles amusements. Votre style français est parvenu à un tel point d'exactitude et d'élégance, que j'imagine que vous êtes né dans le Versailles de Louis XIV, que Bossuet et Fénelon ont été vos maîtres d'école, et madame de Sévigné votre nourrice. Si vous voulez cependant vous asservir à nos misérables règles de versification, j'aurai l'honneur de dire à V. A. R. qu'on évite autant qu'on le peut chez nos timides écrivains de se servir du mot croient en poésie, parce que, si on le fait de deux syllabes, il résulte une prononciation qui n'est pas française, comme si on prononçait croyint; et, si on le fait d'une syllabe, elle est trop longue. Ainsi, au lieu de dire :
Ils croient réformer, stupides téméraires, ...a
les Apollons de Remusberg diront tout aussi aisément :
Ils pensent réformer, stupides téméraires. ...
Ce qui me charme infiniment, c'est que je vois toujours, monseigneur, un fonds inépuisable de philosophie dans vos moindres amusements.
a Les Stances sur la Tranquillité ont été tout à fait changées depuis : dans la rédaction envoyée à Voltaire en 1739, on lit vers la fin :
Qu'en vain les aveugles mortels,
Volages et changeants, charmés de l'inconstance.
Conservent leurs beaux jours avec impatience :
Que leurs esprits légers et superficiels
Abandonnent des biens réels
Pour l'appât décevant d'une folle espérance,
Et qu'importuns aux dieux, aux pieds des saints autels.
Par des vœux incertains, absurdes et contraires.
Ils croient réformer, stupides téméraires,
Les oracles des immortels :
Pour moi, etc.