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95. AU MÊME.

Königsberg, 9 août 1739.

Sublime auteur, ami charmant,
Vous dont la source intarissable
Nous fournit si diligemment
De ce fruit rare, inestimable,
Que votre muse hardiment,
Dans un séjour peu favorable,
Fait éclore à chaque moment;

Au fond de la Lithuanie,
J'ai vu paraître, tout brillant,
Ce rayon de votre génie
Qui confond, dans la tragédie,
Le fanatisme, en se jouant.

J'ai vu de la philosophie,
J'ai vu le baron voyageur,
Et j'ai vu la pièce accomplie
Où les ouvrages et la Vie
De Molière vous font honneur.b

A la France, votre patrie,
Voltaire, daignez épargner
Les frais que pour l'Académie
Sa main a voulu destiner.

En effet, je suis sûr que ces quarante têtes qui sont payées pour penser, et dont l'emploi est d'écrire, ne travaillent pas la moitié autant que vous. Je suis certain que, si l'on pouvait apprécier la valeur des pensées, toutes celles de cette nombreuse société, prises ensemble, ne tiendraient pas l'équilibre aux vôtres. Les sciences sont pour tout le monde, mais l'art de penser est le don le plus rare de la nature.


b Les ouvrages de Voltaire auxquels Frédéric fait allusion dans ces huit derniers vers sont : 1o Le Fanatisme, ou Mahomet le Prophète; 2o les Eléments de la Philosophie de Newton; 3o le Voyage du baron de Gangan; 4o la Vie de Molière, avec de petits sommaires de ses pièces.